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11 avril 2013 4 11 /04 /avril /2013 05:04

 

 

 

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René MAGRITTE

La magie noire – 1935 –

"Les titres des tableaux ne sont pas des explications et les tableaux ne sont

pas des illustrations des titres."  

 René MAGRITTE 


 

*

 

...dans le simple appareil

d'une beauté qu'on vient d'arracher au sommeil...

 

 

Narcisse.

Grâces aux dieux, seigneur, Junie entre vos mains

vous assure aujourd'hui du reste des Romains.

Vos ennemis, déchus d'une vaine espérance,

sont allés chez Pallas pleurer leur impuissance.

Mais que vois-je? Vous-même, inquiet, étonné,

plus que Britannicus paraissez consterné.

Que présage à mes yeux cette tristesse obscure

et ces sombres regards errants à l'aventure ?

Tout vous rit: la fortune obéit à vos vœux.

 

Néron.

Narcisse, c'en est fait, Néron est amoureux.

 

Narcisse.

Vous ?

 

Néron.

Depuis un moment, mais pour toute ma vie.

J'aime, que dis-je aimer ? J'idolâtre Junie.

 

Narcisse.

Vous l'aimez ?

 

Néron.

Excité d'un désir curieux,

cette nuit je l'ai vue arriver en ces lieux,

triste, levant au ciel ses yeux mouillés de larmes,

qui brillaient au travers des flambeaux et des armes:

belle, sans ornements, dans le simple appareil

d'une beauté qu'on vient d'arracher au sommeil.

Que veux-tu? Je ne sais si cette négligence,

les ombres, les flambeaux, les cris et le silence,

et le farouche aspect de ses fiers ravisseurs

relevaient de ses yeux les timides douceurs.

Quoi qu'il en soit, ravi d'une si belle vue,

j'ai voulu lui parler, et ma voix s'est perdue:

immobile, saisi d'un long étonnement,

je l'ai laissé passer dans son appartement.

J'ai passé dans le mien. C'est là que solitaire,

de son image en vain j'ai voulu me distraire:

trop présente à mes yeux, je croyais lui parler;

j'aimais jusqu'à ses pleurs que je faisais couler.

Quelquefois, mais trop tard, je lui demandais grâce;

j'employais les soupirs, et même la menace.

Voilà comme, occupé de mon nouvel amour,

mes yeux, sans se fermer, ont attendu le jour.

Mais je m'en fais peut-être une trop belle image;

elle m'est apparue avec trop d'avantage:

Narcisse, qu'en dis-tu ?

 

Narcisse.

Quoi, seigneur ? Croira-t-on

qu'elle ait pu si longtemps se cacher à Néron ?

 

Néron.

Tu le sais bien, Narcisse; et soit que sa colère

m'imputât le malheur qui lui ravit son frère;

soit que son cœur, jaloux d'une austère fierté,

enviât à nos yeux sa naissante beauté;

fidèle à sa douleur, et dans l'ombre enfermée,

elle se dérobait même à sa renommée.

Et c'est cette vertu, si nouvelle à la cour,

dont la persévérance irrite mon amour.

Quoi, Narcisse ? Tandis qu'il n'est point de Romaine

que mon amour n'honore et ne rende plus vaine,

qui dès qu'à ses regards elle ose se fier,

sur le cœur de César ne les vienne essayer:

seule dans son palais la modeste Junie

regarde leurs honneurs comme une ignominie,

fuit, et ne daigne pas peut-être s'informer

si César est aimable, ou bien s'il sait aimer ?

Dis-moi: Britannicus l'aime-t-il ?

 

BRITANNICUS     

 ACTE II , SCENE II .

 

 

 

 

La première représentation de Britannicus est donnée en l’hôtel de Bourgogne en 1669. Pièce en cinq actes de Jean Racine, cette tragédie est aujourd’hui la seconde pièce la plus donnée à la Comédie Française, après Cyrano de Bergerac.


 


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