Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
18 novembre 2013 1 18 /11 /novembre /2013 06:00

 

 

 

Le lit des choses est grand ouvert. Je me suis endormi, pensant que c'était trop beau et que la terre s'échapperait. Je craignais tout des ventilations absurdes d'une nuit en colère. Les matins me fustigeaient. Je vivais crédu­lement. Sourcier infatigable, je cherchais l'Orifice originel, premier ouvrage par où passer la tête et crier au Soleil. J'ai trouvé! Je confectionne sur mesure une amoureuse. (En vérité, elle m'est venue d'une ville rêvée posée sur de grands boutons-d'or.)

Les peu­pliers s'organisent. Les rossignols composent. Il me souvient que l'ivresse nous emporta dans un vivant exercice : le mariage. Elle était si naturelle sous sa robe. Je fus sensible aux courbes aux frémissements particuliers aux aspérités inattendues de sa chair, à la marée montante ou descendante des muscles, à la dentelle des phrases ajourées de soupirs, à ses lianes ses diadèmes ses chevelures ses crépuscules d'Eve naissante, à la sagesse et à la déchirure de ses bords.

Elle me parla comme à un bouclier. J'avais autorité pour prendre sa défense. Pieds nus sur le fil blanc du rêve, nous courions après nos vêtements en allés. Jamais funambules ne furent si heureux de se rejoindre. Et je m'éveille, à l'unisson des terrasses où nos corps à bien menèrent leur cure. Désormais l'invention demeure. Ma femme sera mon paysage sen­suel, le diorama de mon âme. Le monde s'est embelli. J'aspire littéralement l'avenir. La clarté du jour m'assiste. Je grimpe à l'échelle de corde de l'enthousiasme.

O c'est plus que jamais l'heure des diamants érectiles ! Les alentours se métamorphosent. De coutume le coeur de la biche ne boule pas ainsi, l'eau a moins de charme, les oiseaux ne tombent pas si verticalement sur le ciel, l'air n'offre pas sa charpente avec autant de pompe ou de vigueur. Je vois enfin le plus beau frisson de l'arbre. Et le silence a trop vite plongé son glaive dans la pierre pour que je ne devine rien : Tu es là.

 

 

HENRI PICHETTE

 Les Epiphanies

 

 

a-bientot-.jpg

...Tu es là...

 

 

Lire d'autres extraits de PICHETTE

 

 

 


Partager cet article
Repost0
3 novembre 2013 7 03 /11 /novembre /2013 10:50

 

 

 

 

 

        • Je secoue l'arbre nuitier 

 

 

 

 

 

 Je secoue l'arbre nuitier

Les étoiles tombent dans mon drap,

Ô la !

Je les tâte du bout du pied,

Je les mange de mes yeux,

Couche avec moi si t'en veux.

 

 

Henri PICHETTE

Les Épiphanies

 

 

 

PICHARD.jpg 

Dessin de Georges Pichard, 1920-2003

 

 

 

 

 

 

relire Henri Pichette

 

 

 

 

 


Partager cet article
Repost0
7 avril 2013 7 07 /04 /avril /2013 05:00

    

 

 

 

 

Le Duo d’Amour Fou

 

La scène est au soleil de midi, l’été, entre plaine et forêt.

 

Le Poète : Le lit des choses est grand ouvert. Je me suis endormi, pensant que c’était trop beau et que la terre s’échapperait. Je craignais tout des ventilations absurdes d’une nuit en colère. Les matins me fustigeaient. Je vivais crédulement. Sourcier infatigable, je cherchais l’Orifice originel, premier ouvrage par où passer la tête et crier au Soleil.

J’ai trouvé ! Je confectionne sur mesure une amoureuse. Ma femme sera mon paysage sensuel, le diorama de mon âme. Le monde s’est embelli. J’aspire littéralement l’avenir. La clarté du jour m’assiste. Je grimpe à l’échelle de corde de l’enthousiasme. O c’est plus que jamais l’heure des diamants érectiles !

Les alentours se métamorphosent. De coutume le cœur de la biche ne boule pas ainsi, l’eau a moins de charme, les oiseaux ne tombent pas si verticalement sur le ciel, l’air n’offre pas sa charpente avec autant de pompe ou de vigueur.

Je vois enfin le plus beau frisson de l’arbre. Et le silence a trop vite plongé son glaive dans la pierre pour que je ne devine rien : Tu es là.

 

L’Amoureuse : Je t’aime.

Le Poète : Je t’ai vue de toutes parts. Je n’osais décoller tes lèvres du poème. Il y a tant de choses qui nous invitent aux festins de la terre. Toi présente je n’ai plus que ta vérité pour sauver les mots de leur honte. Je voudrais pouvoir me taire. Or pourquoi ai-je toujours une question à poser ?

L’Amoureuse : Dis-moi.

Le Poète : A quoi reconnais-tu que je t’aime ?

L’Amoureuse : A ta volonté. Et toi ?

Le Poète : Au plaisir que tu as à m’obéir.

L’Amoureuse : Ne suis-je point ta femme ?

Le Poète : Il est vrai. Tu te donnes fière, fine, florissante, agenouillée, rejetée en arrière, arche harmonieuse d’où les serviteurs fous de lumière s’envolent ; étale, pour tracer à la langue les routes fraîches qui mènent au cri.

L’Amoureuse : Quand il fait jour je pense à la nuit

Le Poète : et la nuit je fêle ta voix, je m’initie à ton parfum, tes seins fermissent, tu tires mes yeux

L’Amoureuse : et tu me frises et me tutoies avec des gants.

Le Poète : Je tords la joie de vivre. Je te visite entière. Je t’irise. A mon aise je t’incendie.

L’Amoureuse : Tu me parcours

Le Poète : C’est alors que j’oublie le revers des villes, le souci de vivre au milieu des flèches. Je retrouve intacte mon enfance. Je jouerais des siècles avec tes boucles. Je t’emmènerai au Pays des Manières limpides. Je t’accrocherais un cristal de neige éternelle au corsage. Tu choisirais tes lacs, tes rives, tes chaînes de montagnes. Tu commanderais ton ciel, ta saison, les robes des lendemains. Pour toi, sur les chemins de ronde, nous sortirions minuit de nos poches et nous ferions du feu.

L’Amoureuse : Comme je t’appartiens ! Tu as le sens des mouvements qui me grisent, et la diction d’un fanal. Mes flots se teintent. Tu renverses l’azur en moi. Tu jalonnes mon ventre d’ifs tout allumés. C’est la fête. Je t’accompagne. Nous descendons au ralenti un escalier de pourpre, je me voile dans l’écume, le vent se lève, tu t’effaces devant les portes, où suis-je ? Mais tu ne réponds pas, tu m’inspires des flambeaux de passage, tu déplies soigneusement la volupté, tu détournes ma soif, tu me prolonges, tu me chrysalides et je suis de nouveau élue. Alors je danse, je danse, je danse ! comme une flamme debout sur la mer ! les paupières fermées. Je suis nue, j’en ai conscience et je te remercie parce que la fin de la folie est imprévisible. Tu échafaudes des merveilles. Tu me crucifies à toi. Je suis bien.

Laisse-moi te dire : j’ai besoin d’être voyagée comme une femme. Depuis des jours et des nuits tu me révèles. Depuis des nuits et des jours je me préparais à la noce parfaite. Je suis libre avec ton corps. Je t’aime au fil de mes ongles, je te dessine. Le cœur te lave. Je t’endimanche. Je te filtre dans mes lèvres. Tu te ramasses entre mes membres. Je m’évase. Je te déchaîne

Le Poète : Je t’imprime

L’Amoureuse : je te savoure

Le Poète : je te rame

L’Amoureuse : je te précède

Le Poète : je te vertige

L’Amoureuse : et tu me recommences

Le Poète : je t’innerve te musique

L’Amoureuse : te gamme te greffe

Le Poète : te mouve

L’Amoureuse : te luge

Le Poète : te hanche te harpe te herse te larme

L’Amoureuse : te mire t’infuse te cytise te valve

Le Poète : te balise te losange te pylône te spirale te corymbe

L’Amoureuse : l’hirondelle te reptile t’anémone te pouliche te cigale te nageoire

Le Poète : te calcaire te pulpe te golfe te disque

L’Amoureuse : te langue le lune te givre

Le Poète : te chaise te table te lucarne te môle

L’Amoureuse : te meule

Le Poète : te havre te cèdre

L’Amoureuse : te rose te rouge te jaune te mauve te laine te lyre te guêpe

Le Poète : te troène

L’Amoureuse : te corolle

Le Poète : te résine

L’Amoureuse : te margelle

Le Poète : te savane

L’Amoureuse : te panthère

Le Poète : te goyave

L’Amoureuse : te salive

Le Poète : te scaphandre

L’Amoureuse : te navire te nomade

Le Poète : t’arque-en-ciel

L’Amoureuse : te neige

Le Poète : te marécage

L’Amoureuse : te luzule

Le Poète : te sisymbre te gingembre t’amande te chatte

L’Amoureuse : t’émeraude

Le Poète : t’ardoise

L’Amoureuse : te fruite

Le Poète : te liège

L’Amoureuse : te loutre

Le Poète : te phalène

L’Amoureuse : te pervenche

Le Poète : te septembre octobre novembre décembre et le temps qu’il faudra

 

Henri Pichette

  Les Épiphanies

 


 


C'est en 1947 que Gérard Philipe et Maria Casarès créent la pièce au Théâtre des Noctambules à Paris. La musique originale est de Maurice Roche, la mise en scène de Georges Vitaly.

 


getatt.jpeg

Gérard Philippe et Maria Casares dans "Les Epiphanies".
Photo de spectacle n&b. (cote 4°-PHO-4-481)

Photo : George-Henri

 

 

 

Partager cet article
Repost0
13 décembre 2012 4 13 /12 /décembre /2012 06:19

 


Un arbre est là-bas

 

Un arbre est là-bas, qui vous fait un geste ;

Le temps d'y courir, il vous donne un fruit.

Un peu de soleil brûle sous la veste,

L'ombre d'un ruisseau m'arrive à doux bruit.

 

 

Un million de cieux...foin de passeports !

Je ne veux rêver qu'à la force verte,

Aux oiseaux élus dont l'âme a pris corps.

- Sur la liberté ma bouche est ouverte.

 

 

Henri Pichette

Les revendications

 

 Henri-Pichette-repete-Les-Epiphanie.jpeg

©Atelier Robert Doisneau, 1947

Henri PICHETTE repète sa pièce Les Epiphanies au théâtre des Noctambules à Paris.

 

 

 

DALI--L-arbre-de-vie.jpg

Un arbre est là-bas, qui vous fait un geste ;

 

DALI

"L'Arbre de Vie" de l'Alchimie des Philosophes. 

1974/75


 

 


De PICHETTE, précédemment publié : ici

 


Partager cet article
Repost0
21 février 2012 2 21 /02 /février /2012 06:10

 

 

 

CosmosNASA perseides

 

 

 

Je secoue l'arbre nuitier :

Les étoiles tombent dans mon drap,

Ô la !

Je les tâte du bout du pied,

Je les mange de mes yeux,

Couche avec moi si t'en veux.

 

 

 

Henri PICHETTE   (1924-2000)

 Les Épiphanies, 1948

 

 

Illustration : Les Perséides. Photo NASA

 

 


Partager cet article
Repost0
17 décembre 2011 6 17 /12 /décembre /2011 07:41

 

 

epiphanie-49

Illustration: Epiphanie, tableau de Emmanuel Bossennec. 

 


 

 

 

Néanmoins, la vie sera élucidée.

Car à vingt ans tu optes pour l'enthousiasme, tu vois rouge, tu ardes, tu arques, tu astres, tu happes, tu hampes, tu décliques, tu éclates, tu ébouriffes, tu bats en neige, tu rues dans les brancards, tu manifestes, tu lampionnes, tu arpentes la lune, tu bois le lait bourru le vin nouveau l'alcool irradiant, tu déjeunes à la branche, tu pars à la découverte, tu visites l'air les champs les ruines les métropoles les stades et les musées les jungles et les églises les arènes les volcans les chutes les fjords les oueds les lagunes les bayous les caftons les toundras les déserts les grandes salles des châteaux les jardins suspendus les pyramides les mégalithes les catacombes les cavernes ornées les blanches montagnes les théâtres étoilés la mer Océane, tu bolides, tu pagaies, tu varappes, tu dribbles, tu crawles, tu voles à voile, tu hameçonnes les filles, tu t'amouraches, tu gamahuches, tu renverses la vapeur, tu déploies les couleurs, tu dérides les bonzes, épouvantes les bigotes, scandalises les vieux birbes, tu convoles un jour dans l'infanterie un jour vers les oiseaux-lyres les aigles-bugles les cygnes au cri de cuivre un jour avec les clartés furieuses les splendeurs d'ombre la nature, tu idéalises, tu ambitionnes, tu adores, tu détestes, tu brilles
.

A quarante ans je te retrouve rongeant ton frein, tu fondes sur la sympathie, il y a un cerne noir à toute chose, tu déshabilles du regard, tu convoites, tu prémédites, tu disposes tes chances, tu te profiles, tu places ton sourire tes phrases tes bouquets tes collets tes canapés, tu estimes, tu escomptes, tu commerces, tu carbures à prix d'argent, tu te pousses dans les milieux, tu médis du tiers et du quart ou fais du plat selon le rang, tu arroses, tu gobichonnes, tu prends du ventre, tu prends des mesures, tu prends médecine, tu te mets au vert, tu récupères, tu remets ça, tu enrobes et te lisses le cheveu, tu ne veux pas avoir l'air, tu opères comme en glissant, tu serpentes, tu attaques par le faible, tu escarmouches à petits coups de champagne, tu endors les chagrins, tu tamises les lampes, tu officies sous le manteau de la nuit... mais se réveiller : la grisaille la routine les manigances la vacherie... comme tu voudrais un jeu neuf! que s'il te l'était donné, tu laverais les sons, ressourcerais les images, procéderais à la toilette des Muses des Grâces des bonnes fées, or tu dissèques, tu calcules, tu cogites, tu épilogues, tu fais silenc
e.

A soixante ans tu dates, tu radotes, tu perds la main l'ouïe tes dents, le coeur te faut, les jambes te flageolent, tu tombes en faiblesse, encore un peu et tu retombes dans une enfance touchée à mort.


 

Henri PICHETTE in Les Epiphanies. Extrait.





Note sur Emmanuel Bossennec, peintre : "Si la toile peinte parvient à l'expression, par la vertu d'une rencontre chair à chair, alors elle offre à la manducation - qui est, à travers l'oeil, mais aussi à travers l'être entier, une écoute par la bouche - la saveur de l'être, devenu et encore à être. Ma peinture voudrait restituer le goût de l'être." Emmanuel Bossennec.

Découvrez ce peintre : http://www.bossennec.com/

 

 


Partager cet article
Repost0
2 juin 2011 4 02 /06 /juin /2011 07:17

#469    

 

Nous souhaitions revenir à Henri Pichette, déjà évoqué par trois fois dans nos communications. Cf nos extraits de Epiphanies. Sa poésie est en effet un véritable bouleversement des mots et des sonorités (on sait maintenant que les choix de Nuageneuf sont honteusement subjectifs).

Il était donc temps également de situer Pichette. Qui mieux que Raphaël Sorin pouvait bien le faire ? C'est avec une grande courtoisie que ce dernier nous a confié son texte que nous sommes fiers et heureux de vous faire partager, avant de revenir dans les tous prochains jours avec un extrait ébouriffant de Pichette.

 


 

 

 

Raphael-SORIN.png

 

 

Raphaël Sorin, sa biographie :

J’ai traversé, comme éditeur, en plus de quarante ans, le Seuil, Champ Libre, le Sagittaire, Ramsay, Albin Michel, Flammarion, Fayard.

J’ai publié, entre autres, Bukowski, Pessoa, Bizot, Pacadis, Houellebecq, Holder, Ovidie, Bruckner, Guégan, Burroughs, Bourriaud, Adrien, Spinrad, Le Brun, Ribemont-Dessaignes, Thirion, Martinet, Satie, Ravalec, Taraboukine, Gracian, Costes, Kauffmann, Eudeline, Joncour, Jeannet, Borie, Prudon, Crumley.

Critique, j’ai écrit dans la presse (Le Monde, Le Matin, La Quinzaine littéraire, Globe, Les Nouvelles littéraires, L’Express, et même, sous pseudo, Libération), à la radio (Le Masque et la Plume, France Culture), la télévision (Ouvrez les guillemets, Boîte aux lettres, Rive droite-Rive gauche, iTélé, Droit de réponse et, sur Canal, Le Cercle littéraire).

Actuellement, je suis conseiller éditorial au groupe Libella (Buchet-Chastel, Phébus).

Dernier livre publié : 
Produits d’entretiens (éditions Finitude).

 

 


 

Henri Pichette, le poète anti-Char

Il aura suffi que je prononce ce nom, «René Char», pour que Pichette (1924-2000) parte au quart de tour. Le grrrand pouète national, il faut le savoir, était tout le contraire de celui des Épiphanies. Gonflé d’orgueil, enivré par trop de gloire, bouffi de sa réputation de barde, exalté par son Moi, tonitruant ses aphorismes entortillés…Pichette, avec une cruauté d’enfant disséquant un scarabée, arrachait sa superbe verbeuse, la triturait sauvagement, la persiflait et la démantibulait sans recours.

Pichette? Vous l’avez lu? Entendu dire lui-même, pour le cinquantième anniversaire de la première des Épiphanies (un «mystère profane», créé en 1947 par Gérard Philipe et Maria Casarès), le texte incandescent de cette pièce d’extrême jeunesse, au théâtre du Rond-Point, devant une salle pleine de survivants de la création, mêlés à plusieurs générations ? L’auteur, chaussé de sabots, seul à sa table, incarnait, psalmodiait, scandait et propulsait son texte. J’y étais.

Le triomphe ancien des Épiphanies fut suivi d’une non carrière difficile, d’un refus exemplaire et constant des conformismes, sociaux, politiques. On en mesure les étapes en lisant les «Indications biographiques» de l’édition récente d’Ode à chacunsuivi du Tombeau de Gérard Philipe (en Poésie/Gallimard). Pichette ne manqua aucune révolte. Zazou, déserteur des Chantiers de jeunesse, en 1944, F.F.I. à Marseille, complice d’Antonin Artaud, indésirable aux Etats-Unis, censuré par les Soviétiques, il finit, en 1989, par se découvrir une «âme de chouan».

Ode à chacun est un recueil absolument unique où se succèdent l’Ode à la petite enfance, l’Ode à la neige, l’Ode au berger fidèle à son chien, l’Ode à la poésie, l’Ode à Charles Péguy sur la rime de France ou l’Ode à elle. Un épais «lexique» pour lequel Pichette s’est fait aider par des dialectologues, des ornithologues et des ichtyologistes, par le lexicologue Alain Rey et l’écrivain Pierre Jakez Hélias, indique au lecteur de chaque vers du livre des mots et des locutions qui ne figurent ni dansle Petit Robert ni dans le Petit Larousse. Il lui a fallu consulter des ouvrages aussi improbables que le Glossaire du Centre de la France du comte Jaubert ou Trésor du parler percheron d’Albert Dud’huit.

Alain Rey, dans un bref commentaire, salue ce «trésor des mots» qui relie Pichette à Villon et à Péguy. L’érudition se change en mystique. Les «paroles gelées» de Rabelais reviennent à la vie. Le «vipérier», la «sauterelloise» (pêcheuse de crevettes),le «pelleyeur» (ouvrier ostréiculteur qui manie la pelle), le «gouverneau» (ouvrier qui veille à la conduite des moulins), et tant d’autres, ils habitent le chant de ce poète médiéval et contemporain, un artisan modeste et fier.

Ce goût de la saveur des mots, j’en fus le témoin quand, après avoir éclaté Char, Pichette m’amena sur le terrain d’une quête insensée qui n’aboutit qu’après sa mort, avec la publication en 2005, chez Gallimard, des Ditelis du rougegorge. Il avait passé plus de vingt ans à se passionner pour l’oiseau chanteur et, trouvant un auditeur qui ignorait tout de ses recherches, il m’en servit un résumé étourdissant. Il m’envoya ensuite la première édition des Poèmes offerts, publiés en 1982 chez

Granit (éditeur des deux premiers Cahiers Henri Pichette)Gallimard reprend ce livre, dans une version corrigée par l’auteur et complétée.

Parmi les destinataires, on retrouve Alexandre Calder, Georges Perros, Albert Béguin, Antonin Artaud, des amis, des inconnus. Ici encore, un «lexique» éclaire des allusions, des mots rares. Dans l’hommage à Calder, je retiendrai seulement «revolin», qui exprime ce que «le vent emporte des arbres», le tournoiement du vent lorsqu’il rencontre un obstacle et, au Québec, une «fine pluie que projettent les vagues se brisant sous le vent». Quel mot magnifique dans son poudroiement de sens, offert à l’inventeur de «la Sculpture qui danse»!

• ©Raphaël Sorin •  

      Courtoisie de Raphaël Sorin pour Nuageneuf. Article paru dans le Nouvel Obs.

 

 

Partager cet article
Repost0
18 juin 2010 5 18 /06 /juin /2010 14:24

 

 

matthieu seuil ultime

 

Illustration : Seuil ultime. Georges Mathieu

 


Georges Mathieu est né en 1921 à Boulogne-sur-mer. Il n’a fait aucune école d’art avant de se lancer dans la peinture, dans la plus grande solitude. Très vite, il rencontre dans le Paris d’après-guerre, Wols, Atlan, Hartung et s’affirme comme l’acteur et l’instigateur de l’abstraction lyrique. Peintre et penseur, homme de grande culture, Mathieu a la conviction très tôt de faire un art total qui fait table rase de la beauté platonicienne. Il opère une révolution sémantique : le signe précède le sens, l’image plastique précède l’idée.

 


 

 Je me perpétuerais

 

 

Je me perpétuerais et toi, tel un goéland, tu me couperais de ton aile... Comme je t'appartiens!

Tu as le sens des mouvements qui me grisent, et la diction d'un fanal. Mes flots se teintent.

Tu renverses l'azur en moi. Tu jalonnes mon ventre d'ifs tout allumés. C'est la fête. Je deviens poreuse. Tu m'échevelles. je t'accompagne. Nous descendons au ralenti un escalier de pourpre, je me voile dans l'écume, le vent se lève, tu t'effaces devant les portes, où suis-je?

 

Mais tu ne réponds pas, tu m'inspires des flambeaux de passage, tu déplies soigneusement la volupté, tu détournes ma soif, tu me prolonges, tu me chrysalides et je suis de nouveau élue. Alors je danse, je danse, je danse ! comme une flamme debout sur la mer ! les paupières fermées. Ta patience fait mon bonheur. Je suis nue, j'en ai conscience et je te remercie parce que la fin de la folie est imprévisible. Tu échafaudes des merveilles. Tu me crucifies à toi. Le plaisir est doucement douloureux. Je suis bien.

 

Laisse-moi te dire : j'ai besoin de me sentir voyagée comme une femme. Depuis des jours et des nuits, tu me révèles. Depuis des nuits et des jours, je me préparais à la noce parfaite. Je suis libre avec ton corps. Je t'aime au fil de mes ongles, je te dessine. Le coeur te lave. Je t'endimanche. Je te filtre dans mes lèvres. Tu te ramasses entre mes membres. Je m'évase. Je te déchaîne.

 

In Les Epiphanies

 


 



Partager cet article
Repost0

Présentation

  • : nuageneuf.over-blog.com
  • : Poésie, Poésie pour enfant, Poésie pour la jeunesse, Textes classiques et modernes, Mémoire de la Shoah,
  • Contact

Recherche

Archives

Pages