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20 novembre 2010 6 20 /11 /novembre /2010 00:32

 

rimbaud-voyages.jpg

 

Photo courtoisement mise à disposition par Joël H. Prise à Lyon.

Cette agence de voyages est située 68 avenue du Maréchal de Saxe, 3ème arrondissement. 


 

 

 

Michel et Christine est un de ces textes énigmatiques pour lesquels on a l'impression qu'ils se sont éclairés au fil du temps, grâce au travail de la critique. Et, pour une fois, moins par l'affrontement des interprétations que par leur collaboration indirecte dans l'approfondissement du sens du texte. René Étiemble (en 1936) est le premier à avoir signalé la référence du titre du poème à celui d'un vaudeville de Scribe : "Michel et Christine". C'est probablement à cette rencontre que fait allusion  Alchimie du verbe : "un titre de vaudeville dressait des épouvantes devant moi". Pierre Brunel a ensuite établi un premier niveau de sens lorsqu'il a mis en évidence (en 1987) l'inspiration parodique du poème : une parodie du genre littéraire de l'idylle. Si bien que Steve Murphy, lorsqu'il croit pouvoir déceler dans ce même poème (en 2004) une "parodie de l'idylle verlainienne", telle qu'elle se manifeste dans Malines, ne contredit pas la thèse de Brunel mais la précise et la confirme. Cependant, Yves Reboul a bien montré (en 1990) que le sens du poème ne peut pas être réduit à cette intention parodique. Comme l'avait senti Isabelle Rimbaud, le poème recèle aussi une portée politique ("J'aurais voulu, écrit la sœur du poète dans une lettre, que l'on supprimât les trois morceaux intitulés : Le Forgeron, Michel et Christine, Paris se repeuple, qui semblent exprimer des idées révolutionnaires"). Ainsi compris, Michel et Christine apparaît comme une rêverie révolutionnaire où les noms joints d'un couple de vaudeville symbolisent l'avènement du "nouvel amour" sur les décombres du vieux monde renversé par l'action des "nouveaux barbares". Au dénouement de la fable, cette rêverie se brise. C'est que le poète vient de s'aviser que le mot "christ" jette sa malédiction sur le prénom de "Christine", comme les prescriptions morales du christianisme sur la libre satisfaction du désir. Interprétation à son tour confirmée par Steve Murphy lorsqu'il découvre (en 2004) que le livret de l'opéra de Scribe utilise l'abréviation "Christ." pour Christine, artifice typographique qui a bien pu faire rêver Rimbaud s'il l'a rencontré dans ses lectures, ce qui est fort possible (on connaît l'intérêt de Verlaine et Rimbaud pour les "refrains niais" de ces "opéras vieux" en 1872).

 

Bibliographie :

 

propos de Michel et Christine", par René Étiemble et Yassu Gauclère, dans les Cahiers du Sud, pages 927-931, décembre 1936. Repris dans Hygiène des lettres, t. IV, Poètes ou faiseurs ?, Gallimard 1966.

"La Fin de l'idylle", par Pierre Brunel, dans Revue d'histoire littéraire de la France, pages 200-212, mars-avril 1987 n°2.

"Lecture de Michel et Christine", par Yves Reboul, dans Parade Sauvage, Colloque n°2, Rimbaud "à la loupe", pages 52-59, 1990.

"Michel et Christine", par Bernard Meyer, dans Rimbaud vivant, n°38, pages 4-32, juillet 1999.

"Détours et détournements : Rimbaud et le parodique", par Steve Murphy, dans Parade sauvage, Colloque N°4, 13-15 septembre 2002, pages 77-126, 2004. Les pages 98-101 analysent le rapport de Michel et Christine avec Malines, poème des Romances sans paroles de Verlaine.

"Michel, Christine et Christ : vers les origines d'un calembour", par Steve Murphy, dans Parade sauvage n° 20, p. 250-251, décembre 2004.

"Michel et Christine, Paix et Guerre", par Steve Murphy, Rimbaud, l'invisible et l'inouï, CNED-PUF, 2009, p.176-180.

 

 

 

Michel et Christine

 

 

Zut alors, si le soleil quitte ces bords !

Fuis, clair déluge ! Voici l'ombre des routes.

Dans les saules, dans la vieille cour d'honneur,

L'orage d'abord jette ses larges gouttes.

 

O cent agneaux, de l'idylle soldats blonds,

Des aqueducs, des bruyères amaigries,

Fuyez ! plaine, déserts, prairie, horizons

Sont à la toilette rouge de l'orage !

 

Chien noir, brun pasteur dont le manteau s'engouffre,

Fuyez l'heure des éclairs supérieurs ;

Blond troupeau, quand voici nager ombre et soufre,

Tâchez de descendre à des retraits meilleurs.

 

Mais moi, Seigneur ! voici que mon Esprit vole,

Après les cieux glacés de rouge, sous les

Nuages célestes qui courent et volent

Sur cent Solognes longues comme un railway.

 

Voilà mille loups, mille graines sauvages

Qu'emporte, non sans aimer les liserons,

Cette religieuse après-midi d'orage

Sur l'Europe ancienne où cent hordes iront !

 

Après, le clair de lune ! partout la lande,

Rougissant leurs fronts aux cieux noirs, les guerriers

Chevauchent lentement leurs pâles coursiers !

Les cailloux sonnent sous cette fière bande !

 

- Et verrai-je le bois jaune et le val clair,

L'épouse aux yeux bleus, l'homme au front rouge, - ô Gaule

Et le blanc Agneau pascal, à leurs pieds chers,

- Michel et Christine, - et Christ ! - fin de l’Idylle.

 

Arthur RIMBAUD in Poésies.1872 .

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