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6 mai 2011 5 06 /05 /mai /2011 07:00

 

La luxure d’un fauve

 

Kees Van Dongen, le demi-mondain

 

Kees-van-Dongen--00003717-Z.jpeg 

Le Coquelicot, 1919 photo : centralasian

 

 

Après des années de purgatoire, le temps de Van Dongen est venu. Il faut dire que sa biographie comporte quelques épisodes mauvais genre, comme sa grande rétrospective à la Galerie Charpentier, en 1942, où l’on vit Mme Otto Abetz, vêtue, à son habitude, sans sobriété. Surtout, il fut du « maudit voyage» en compagnie du sculpteur Despiau, mais aussi de Vlaminck et de Derain, avec lesquels il s’était lié d’amitié, trente ans auparavant, à la fameuse Revue blanche, où l’avait introduit Félix Fénéon (1).  À Berlin, dans l’atelier d’Arno Breker, les trois compères, que les nazis auraient fort bien pu ranger parmi les représentants de l’art « dégénéré », feignirent d’admirer les gigantesques athlètes néo-grecs de ce Michel-Ange pour Reich crapuleux. À la Libération, Van Dongen paya cher ce déplacement déplacé.

 

Cela dit, Van Dongen ne fut pas seulement un homme comme les autres, mais un artiste unique et novateur. Il est temps d’oublier le premier pour célébrer le second.

 

Il se disait nul en tout, excepté dans l’art de peindre. D’ailleurs, il préférait parler de vice plutôt que de vocation. Né dans une famille de la petite bourgeoisie, en 1877, à Delfshaven, une bourgade hollandaise située au bord de la Meuse, entre Delft et Rotterdam, sans diplôme ni qualification, il n’aime que Rembrandt. Bien plus tard, se proclamant sans dieu ni maître, il prétendra n’avoir jamais pris de leçon et ne se reconnaîtra qu’un don, celui de la caricature. À la vérité, il s’inscrivit à l’Académie royale de dessin. Étudiant, il traîne dans les quartiers mal famés de Rotterdam où les marins serrent d’un peu près le corps las des dames rompues aux servitudes. Il arrive à Paris, pour la première fois, sans un sou en poche, le 12 juillet 1897. Le 14, il danse dans les rues. Les journées sont ensoleillées, les nuits douces ; il dort sur les « fortifs ».

 

Son séjour ne devait pas excéder trois jours : il repartira en Hollande un an plus tard. Pour quelques francs, il croque les enfants et leurs mères dans les squares. Aller-retour en Hollande, puis installation définitive à Paris : il s’enivre de cette ville absolue, traîne près des baraques de foire, découvre des formes, des lumières, des êtres insouciants, gais, quoique misérables. Il s’installe dans le « maquis » (c’était alors la campagne) de Montmartre. Au Bateau-lavoir, une bâtisse en planches peuplée de peintres et de clochards, il rencontre Picasso et toute la bohème : « C’est ici que j’ai appris à vivre. » Grand, mince, blond, beau gosse, affamé, il se glisse dans la coulisse du plaisir, se faufile dans les rangs des citoyens interlopes. Il observe, il se souvient, il peint. Il a laissé derrière lui l’austérité protestante de la Hollande pour se jeter dans la fête parisienne : « Van Dongen avait besoin de Paris », écrit André Siegfried.

 

On le connaît, puis on le reconnaît ; l’époque est favorable aux nouveaux talents. Il entre chez les Bernheim-jeunes : le voilà « lancé ». Peintre de la mondanité, certes, mais son trait audacieux, sa patte insolente rompent avec la tradition du portrait flatteur : « Mes clientes n’étaient pas toujours satisfaites du résultat. » Il peint les belles épouses des hommes riches, les noceurs, les artistes, les clowns, les lutteuses, et même Anatole France, suscitant l’effroi des lecteurs de ce dernier, qui jugent ses traits vieillis et sa silhouette rabougrie attentatoires à la dignité de l’écrivain.

 

Il peint comme il désire, il peint parce qu’il désire ; ses aplats violents, sa palette primitive font surgir l’énergie sensuelle. Comme saisi par sa fureur fauve, rehaussé de ses éclats expressionnistes, le corps féminin s’offre sans pudeur.

 

La Parisienne de Van Dongen n’est-elle pas l’héritière de celle de François Boucher qui, sous Louis XV, en imagina le modèle ? De l’une à l’autre, plus d’un siècle d’offrande charnelle, de péché souriant et pardonné, plus d’un siècle de fièvre, de postures aimables, joliment provocantes, de tendres pièges tendus et déjoués, de comédie des sentiments, d’enlacements perdus et toujours recommencés, plus d’un siècle d’exercice du plaisir définitivement français. Innocente des crimes passés, ignorante des crimes à venir, elle confie le soin de son allure, de son rythme, en un mot de sa métamorphose, à la peinture, à la poésie, à la musique. Sous la lumière d’une lampe, elle attend l’amour, en devance les caresses, en mime les contorsions, anticipe ses joies. Elle a le ventre rond, les cuisses pleines, les seins fermes, les yeux fardés de noir intense ; son corps est chargé d’électricité, d’« érotricité ».

 

La « manière » de Van Dongen se fonde sur l’affolante vigueur de la vie : elle en suggère, dans une vision presque foraine, l’éblouissant scandale.

 

 

 

 

(1)En novembre 1941, la propagande culturelle allemande organise un « voyage d’études » destiné aux artistes des beaux-arts (il y en eut également pour les comédiens, pour les écrivains). La délégation française compte des noms prestigieux : Paul Landowski pour la musique, Othon Friesz, Charles Despiau, Henri Bouchard, Paul Belmondo pour la sculpture, Kees Van Dongen, Maurice de Vlaminck, André Derain, pour la peinture. Les Français firent halte dans plusieurs villes avant de gagner Berlin, où les attendait Arno Breker, le sculpteur du régime. Il ne s’agissait nullement d’artistes ratés, qui auraient pu voir dans la Collaboration le moyen de gagner une reconnaissance. Au final, ils furent les dupes d’une opération dont ils ne comprirent pas la finalité.

 

 


« Van Dongen, fauve, anarchiste et mondain », Musée d’art moderne de la Ville de Paris,

11, avenue du Président Wilson, Paris 16e. Du vendredi 25 mars au dimanche 17 juillet 2011.


 

 

 Publié le 23 avril 2011 dans la revue Causeur. © Patrick Mandon. Avec son aimable autorisation. Qu'il soit ici chaleureusement remercié.

 

 



Note :
Kees Van Dongen, de son vrai nom Cornelis Théodorus Marie van Dongen est un peintre néerlandais né le 26 janvier 1877 à Delfshaven, dans la banlieue de Rotterdam (Pays-Bas). Il mourut, à l'âge de 91 ans, le 28 mai 1968 à Monaco.
On peut voir d'autres toiles ici

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5 mai 2011 4 05 /05 /mai /2011 07:03

 

 

Jérôme Leroy est un écrivain français, né en 1964. Nous l'avions évoqué  ici le 21 janvier. Rappelons qu'il fut professeur de français dans des collèges du nord de la France avant de se consacrer essentiellement à l’écriture de romans, nouvelles et poésies. Nous avons aujourd'hui le privilège de publier ce texte, écrit le 5 mars.

Il nous parle de son élan pour Barbey d'Aurévilly (1803-1889). 

 

 Tombe-Barbey.jpg

Illustration : La tombe de Jules Amédée Barbey d'Aurévilly     

 

 

 

 

 

''    Ouest.

 

On a beau dire, rien ne vaut un écrivain réactionnaire (on parle de ceux du monde d'avant, pas des quelques médiatiques de ce temps, aurait dit Debord, qui ne sont là que pour distraire le chaland de la métamorphose paupérisante du capitalisme), rien ne vaut un écrivain réactionnaire pour vous décrire la folie, l'ensauvagement, la fin de la beauté, l'humanité épicière, enfin tout ce qui forme désormais notre quotidien. Ils avaient du mérite les Bloy, les Villiers de l'Isle Adam, les Baudelaire, même. En fait, Antoine Compagnon a trouvé une bonne appellation pour parler d'eux: les anti-modernes. C'est mieux. 
On pourrait trouver contradictoire qu'un vilain communiste comme votre serviteur se réjouisse  toujours plus à la lecture de ces grands oncles grognons, ou cachant leur désespoir derrière l'ironie qui les "crispe comme des extravagants" (Baudelaire). Mais honnêtement, je n'ai pas l'impression que ce soit nous, les communistes, qu'ils visaient dans leur prophéties. Ce qu'ils voyaient pour les cent cinquante ans à venir, et il me semble bien qu'ils aient eu raison, ce n'est pas l'avènement de la société sans classe mais celui du capitalisme spectaculaire marchand qui a détruit les paysages, les vieilles solidarités et les imaginaires, dans un même mouvement.

On était dans l'Ouest. On ne se sent bien que dans l'Ouest, désormais, et sur une ou deux îles grecques.
On a poussé, comme souvent, jusque à la tombe de Barbey. 
C'était le premier jour de soleil après des semaines de pluie. Le Cotentin était une route droite entre deux haies, dans une lumière brumeuse bleu doré. Et la mer, jamais très loin.
On a lu, une fois la voiture garée à Saint-Sauveur le Vicomte, ces pages inaugurales de l'Ensorcelée, sur la Lande de Lessay que nous venions de traverser:
"Qui sait le charme des Landes? Elles sont comme des lambeaux, laissés sur le sol, d'une poésie primitive et sauvage que la main et la herse de l'homme ont déchirée. Haillons sacrés qui disparaitront au premier jour sous le souffle de l'industrialisme moderne; car notre époque, grossièrement matérialiste et utilitaire, a pour prétention de faire disparaître toute espèce de friche aussi bien du globe que que de l'âme humaine. Asservie aux idées de rapports, la société, cette vieille ménagère qui n'a plus de jeune que ses besoins et qui radote de ses lumières, ne comprend pas plus les divines ignorances de l'esprit, cette poésie de l''âme qu'elle veut échanger contre de malheureuses connaissances toujours incomplètes qu'elle n'admet la poésie des yeux, cachée et visible, sous l'apparente inutilité des choses.
  
Pour peu que cet effroyable mouvement de la pensée moderne continue, nous n'aurons plus, dans quelques années, un pauvre bout de lande où l'imagination puisse poser son pied pour rêver, comme le héron sur une de ses pattes. Alors, sous ce règne de l'épais génie des aises physiques qu'on prend pour de la Civisilisation et du Progrès, il n'y aura ni ruines, ni mendiants, ni terres vagues, ni superstitions comme celles qui vont faire le sujet de cette histoire..."

Après, on a mis nos lunettes noires et devant la pierre tombale, on a dû marmonner quelques mots que certains prendront pour une prière, d'autres pour ce qu'on dit toujours lors d'une visite de politesse
Et puis on a repris la voiture. 
Vers l'Ouest, bien entendu.  '' 

©Jérôme Leroy. 5 mars 2011



Jérôme LEROY était l'invité de Frédéric Taddeï le 3 mai dernier. On peut voir l'émission ici


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4 mai 2011 3 04 /05 /mai /2011 07:05

 

 

 

 DITES ! DITES !

 

Ah ! dites, dites

Où sont passés les troglodytes ?

 

Où sont passés les troglodytes ?

Où sont passés les Mohicans ?

Et Blériot avec son biplan ?

Et l’Arabie pas Séoudite ?

 

Où sont passés les fiacres

Qu’étaient couverts de nacre ?

Et les cochers boiteux

Qui devenaient le Diable en moins de deux ?

 

Où sont passées les Amazones

Qui n’avaient qu’un sein comme bouclier ?

Où est parti le puits de Dôme ?

Que sont devenus les Alliés ?

 

La guerre de Cent Ans ? Celle de Soixante-Dix ?

Et celle de Trente Ans ?

Et Vercingétorix

Mon ancêtre, mon Gaulois,

Où donc est-il passé avec ses guêtres et ses oies ?

 

Où sont passés les habitants

Des cavernes du bon vieux temps

Qui s’éclairaient modestement

Au moyen de vers luisants ?

 

Où sont passés les Thermopyles ?

Où sont passés les Thermidors ?

Et les Anglais qu’ont pris la pile

Quand Jeanne d’Arc était en or ?

 

Et Léontine la femme à Léon ?

 

Et ce monsieur Napoléon

Qui donnait son foie

A tous les soldats

Et faisait semblant d’être là

Même quand il était dans les draps

Avec la Joséphine extra ?

 

Et Samson ? Et Dalila ?

 

Ah ! dites, dites

Y’en a des choses qui existent.

 

Moi, je veux bien. Moi, je vous crois.

Mais faut vraiment avoir la Foi !

 

 

 

 

Samson-et-Dalila-G.Moreau.1882jpg.jpg

      Illustration : SAMSON et DALILA. Gustave MOREAU. -1882-

 


 

 

René de Obaldia aujourd’hui dans un nonagénariat avancé à qui l’on demande quelle vitalité ! Comment faites-vous ? 
répond :

 

« On me dit souvent que je fais plus jeune que mon âge. Je réponds toujours que c'est parce que je n'ai jamais eu la notion du temps. »

 

obaldia1photolot1.jpg

 

 

Textes déjà publiés : ici

 

 


 

René de Obaldia est né le 22 octobre 1918 à Hong-Kong. Il fait ses études à Paris au lycée Condorcet avant d'être mobilisé en 1940. Fait prisonnier, il est envoyé dans un stalag en Silésie. Il est rapatrié comme grand malade en 1944. En 1952, il publie Les richesses naturelles. Après un court passage comme directeur littéraire aux éditions Pierre Horay, il publie son premier roman, Tamerlan des coeurs (1956). Suivront deux récits: Fugue à Waterloo et La passion d'Emile, et un deuxième roman, Le centenaire, «épopée de la mémoire» (1960). Sa carrière de dramaturge commence grâce à Jean Vilar, qui donne Génousie au TNP. Parmi les honneurs dont est ponctuée la carrière de René de Obaldia: le prix de la Critique dramatique pour Génousie (1960) et le grand prix de la poésie de la SACEM pour Innocentines (1988). René de Obaldia a été élu à l'Académie française le 24 juin 1999, au fauteuil de Julien Green.




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2 mai 2011 1 02 /05 /mai /2011 06:26

 

Yom HaShoah 

Du dimanche 1er mai 2011, 20h30

au lundi 2 mai 2011, 18h45.

 
 

        

 

            À l’occasion de Yom HaShoah, date retenue par l’État d’Israël pour la commémoration en mémoire des victimes de la Shoah et des héros de la Résistance juive pendant la Seconde Guerre mondiale, le Mémorial de la Shoah organise, pour la sixième année consécutive, en partenariat avec le Mouvement juif libéral de France (MJLF) et l’Association des fils et filles de déportés juifs de France (FFDJF), qui sont à l’initiative de cette cérémonie, et le Consistoire de Paris, la lecture des noms des déportés juifs de France devant le Mur des Noms.

 

           Au cours de cette lecture publique ininterrompue de 24 heures, de jour comme de nuit, sont prononcés, un à un, les noms, prénoms et âges de chaque homme, femme et enfant déporté. Des 76 000 noms inscrits sur le Mur, sont lus les noms des personnes déportées par les convois n°67 à n°16.

 

        Quelques 200 personnes, anciens déportés, parents, enfants… lisent à tour de rôle, à partir des listes issues du Livre mémorial de la Déportation de Serge Klarsfeld, (éd. Association des FFDJF), les noms de « ceux dont il ne reste que le nom », Simone Veil.

 

 

 

Memorial.jpg

Le mur des noms au Mémorial de la Shoah, à Paris.

 

79 convois ont quitté Drancy entre le 27 mars 1942 et le 17 août 1944. 

Tous les convois de déportation de Drancy partis entre le 27 mars 1942 et le 23 juin 1943, soit 42 convois, sont partis de la gare du Bourget-Drancy.

Tous les convois de déportation de Drancy partis entre le 18 juillet 1943 et le 17 août 1944 sont partis de la gare de Bobigny. (A noter que l'ancienne gare désaffectée de Bobigny, classée en 2005, est devenue officiellement lieu de mémoire en janvier 2011)     

 

 

 

Fugue de mort                   

 

Lait noir de l’aube nous le buvons le soir

le buvons à midi et le matin nous le buvons la nuit

nous buvons et buvons

nous creusons dans le ciel une tombe où l’on n’est pas serré

Un homme habite la maison il joue avec les serpents il écrit

il écrit quand il va faire noir en Allemagne Margarete tes cheveux d’or

écrit ces mots s’avance sur le seuil et les étoiles tressaillent il siffle ses grands chiens

il siffle il fait sortir ses juifs et creuser dans la terre une tombe

il nous commande allons jouez pour qu’on danse

 

Lait noir de l’aube nous te buvons la nuit

te buvons le matin puis à midi nous te buvons le soir

nous buvons et buvons

Un homme habite la maison il joue avec les serpents il écrit

il écrit quand il va faire noir en Allemagne Margarete tes cheveux d’or

Tes cheveux cendre Sulamith nous creusons dans le ciel une tombe où l’on n’est pas serré

Il crie enfoncez plus vos bêches dans la terre vous autres et vous chantez jouez

il attrape le fer à sa ceinture il le brandit ses yeux sont bleus

enfoncez plus les bêches vous autres et vous jouez encore pour qu’on danse

 

Lait noir de l’aube nous te buvons la nuit

te buvons à midi et le matin nous te buvons le soir

nous buvons et buvons

un homme habite la maison Margarete tes cheveux d’or

tes cheveux cendre Sulamith il joue avec les serpents

 

 

Il crie jouez plus douce la mort la mort est un maître d’Allemagne

il crie plus sombre les archets et votre fumée montera vers le ciel

vous aurez une tombe alors dans les nuages où l’on n’est pas serré

 

Lait noir de l’aube nous te buvons la nuit

te buvons à midi la mort est un maître d’Allemagne

nous te buvons le soir et le matin nous buvons et buvons

la mort est un maître d’Allemagne son œil est bleu

il vise tire sur toi une balle de plomb il ne te manque pas

un homme habite la maison Margarete tes cheveux d’or

il lance ses grands chiens sur nous il nous offre une tombe dans le ciel

il joue avec les serpents et rêve la mort est un maître d’Allemagne

 

tes cheveux d’or Margarete

tes cheveux cendre Sulamith

 

 

Paul Celan, traduction Jean-Pierre Lefebvre

© Editions GALLIMARD, 1998, pour la traduction française

 

Kiefer.margarethe.jpg

Illustration : Tableau de Anselm Kiefer intitulé Margarete.

Huile, acrylique, émulsion et paille sur toile, 280 x 380 cm, Collection particulière.

 

 

Todesfuge 

                  

Schwarze Milch der Frühe wir trinken sie abends

wir trinken sie mittags und morgens wir trinken sie nachts

wir trinken und trinken

wir schaufeln ein Grab in den Lüften da liegt man nicht eng

Ein Mann wohnt im Haus der spielt mit den Schlangen der schreibt

der schreibt wenn es dunkelt nach Deutschland

     dein goldenes Haar Margarete

er schreibt es und tritt vor das Haus und es blitzen die Sterne

     er pfeift seine Rüden herbei

er pfeift seine Juden hervor läßt schaufeln ein Grab in der Erde

er befiehlt uns spielt auf nun zum Tanz

 

Schwarze Milch der Frühe wir trinken dich nachts

wir trinken dich morgens und mittags wir trinken dich abends

wir trinken und trinken

Ein Mann wohnt im Haus der spielt mit den Schlangen der schreibt

der schreibt wenn es dunkelt nach Deutschland

     dein goldenes Haar Margarete

Dein aschenes Haar Sulamith wir schaufeln ein Grab in den Lüften

     da liegt man nicht eng

 

Er ruft stecht tiefer ins Erdreich ihr einen ihr andern singet und spielt

er greift nach dem Eisen im Gurt er schwingts seine Augen sind blau

stecht tiefer die Spaten ihr einen ihr anderen spielt weiter zum Tanz auf

 

Schwarze Milch der Frühe wir trinken dich nachts

wir trinken dich mittags und morgens wir trinken dich abends

wir trinken und trinken

ein Mann wohnt im Haus dein goldenes Haar Margarete

dein aschenes Haar Sulamith er spielt mit den Schlangen

 

Er ruft spielt süßer den Tod der Tod ist ein Meister aus Deutschland

er ruft streicht dunkler die Geigen dann steigt ihr als Rauch

     in die Luft

dann habt ihr ein Grab in den Wolken da liegt man nicht eng

 

Schwarze Milch der Frühe wir trinken dich nachts

wir trinken dich mittags der Tod ist ein Meister aus Deutschland

wir trinken dich abends und morgens wir trinken und trinken

der Tod ist ein Meister aus Deutschland sein Auge ist blau

er trifft dich mit bleierner Kugel er trifft dich genau

ein Mann wohnt im Haus dein goldenes Haar Margarete

er hetzt seine Rüden auf uns er schenkt uns ein Grab in der Luft

er spielt mit den Schlangen und träumet der Tod ist ein Meister

     aus Deutschland 

 

dein goldenes Haar Margarete

dein aschenes Haar Sulamith


Paul Celan, Mohn und Gedächtnis © 1952 Deutsche Verlags-Anstalt München

 

Kiefer-1.jpg

Illustration : tableau de Anselm Kiefer (détail) 

 



 

Notre article de l'an dernier : Yom Hashoah du 11 avril 2010.

JMT-au-Mur-des-noms-au-memorial-de-la-Shoah-a-Paris.jpg  MemorialShoah.jpg

Illustration : une personne se recueille devant le mur des noms au Mémorial de la Shoah, à Paris, le 11 avril 2010, jour de Yom HaShoah. Pendant 24 heures, sans discontinuer, les noms, prénoms et âges des déportés sont lus sur le parvis. Cette année ont été lus les convois du numéro 25 au 66ème. 

 

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1 mai 2011 7 01 /05 /mai /2011 07:22

 



 

      Helléniste renommée, professeur au Collège de France, membre de l’Académie française, Jacqueline de Romilly parle de sa mère, de ses études, de la guerre mais aussi de son goût pour la littérature grecque et pour l’enseignement.

(suite et fin)     


 

J.de-Romilly.Academicienne.jpeg

        J. de Romilly est décédée le 18 décembre 2010.

 


De la chance.

 

 

« Tout au long de ma vie, j’ai eu la chance d’être de la génération pour qui tout s’ouvrait. Peut-être n’aurais-je pas osé écrire si je n’avais pas eu le souvenir vivant et visuel de ma mère en train d’écrire, passant des soirées en train d’écrire. Pourtant, je n’ai pas le sentiment d’avoir voulu suivre son exemple, mais peut-être que je suis complètement inconsciente. Je n’ai pas du tout l’impression d’avoir suivi une trace, puis une autre. Je pense encore que la vie commence demain, et ça devient quand même un peu inquiétant maintenant, dans ma quatre-vingt-quinzième année. »

 

 

De l'espérance. 

 


« C’est vrai qu’on se prépare toujours pour un lendemain. C’est vrai que tout ce que l’on fait, que l’on réussit ou que l’on échoue est comme une leçon dont a l’impression qu’on pourrait tirer un enseignement utile dans la suite (…) Et puis, on perd la vue, alors c’est trop tard pour aller ici, là-bas. »

 


De l'âge.


« A quelqu’un qui me faisait observer que j’écrivais beaucoup, en particulier ces six ou ces sept dernières années, j’ai répondu fort logiquement : - Que voulez-vous, à mon âge, il faut que je me dépêche ! »

 


Du bilan.

 


« On ne peut pas être content de tous les aspects de sa vie. C’est bien pour ça qu’on est très heureux quand il y a des satisfactions qui surgissent. On ne peut pas tout faire dans une vie. Donc, on est toujours en faute, en insuffisance. (…) Mais quand je vois qu’il y a eu telle petite chose réussie, que j’ai encore pu faire ceci ou qu’il y a eu tel bon résultat, ça me console. Je me dis : J’ai eu quand même la moyenne malgré tout !. »

 



Note :     on peut lire aussi notre communication (un extrait de son dernier livre) du 18 mars 2011

 


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30 avril 2011 6 30 /04 /avril /2011 06:56

 

 

J.de-Romilly.jpg

 

Jacqueline de Romilly, l'une des rares femmes à être grand croix de la Légion d'honneur, détentrice de la nationalité grecque depuis 1995, disait avec malice ne pas avoir eu, « bien sûr », la vie qu'elle souhaitait : « Avoir été juive sous l'Occupation, finir seule, presque aveugle, sans enfants et sans famille, est-ce vraiment sensationnel ? Mais ma vie de professeur a été, d'un bout à l'autre, celle que je souhaitais ».

 

Propos -1- (extraits choisis)

 

Du grec.    

 

« Si je cherche à expliquer pourquoi j’ai choisi le grec, c’est toute ma vie que je vais expliquer. On est là à faire attention à conserver quelque chose qui s’en va, qui est en train de mourir, qui va probablement disparaître. Je ne vois pas les choses sous un jour aussi sinistre. Si, au lieu de lutter contre l’effacement des traces, on disait, même simplement, que c’est un combat pour retrouver le contact avec nos traces et, de façon vivante, le faire pénétrer dans nos vies de demain, c’est plus encourageant. »

 

 

De ma mère. 


« Que ma mère ait laissé en moi la première empreinte est une chose indiscutable. Ma mère m’a accompagnée ; elle a été tout pour moi. J’ai toujours vécu à proximité d’elle. Nous nous entendions très bien, nous riions ensemble. Alors, qu’elle ait été pour moi l’empreinte permanente, c’est certain. J’ai conscience de lui devoir non seulement tous les souvenirs heureux de ma jeunesse, mais tout ce que je suis et tout ce que j’ai aimé. Je suis restée l’enfant de ma mère tout le temps, et encore maintenant. (…) Elle est encore avec moi. »

 

 

De la gloire. 

 


« A la fin du lycée, je me suis couverte de gloire. En première, j’ai eu le premier prix de latin et le deuxième prix de grec au concours général, et pour la première fois c’était une fille. Ça a fait beaucoup de bruit. Tout ce que j’ai fait depuis n’était rien comme gloire à côté de ça. »

 

 

Etre juive.

 

 

« Etre juive en pleine défaite française, en plein statut des juifs, avec les déportations, n’était pas une expérience heureuse. Cependant, pour moi et dans mon souvenir, c’était une expérience riche et pas du tout écrasée de tristesse. Parce que l’on savait très bien ce que l’on espérait. On écoutait toutes les nouvelles qui donnaient l’espoir que les choses s’arrangent (…). Et, dans tout cela, il y avait une grande espérance, qui n’est pas toujours présente dans notre monde en paix. Evidemment, j’étais beaucoup plus jeune. Mais j’ai l’impression qu’il y avait, malgré ces horreurs, une confiance dans la vie plus grande que dans certains moments de l’époque moderne. »

 

 

 

 

(à suivre)

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29 avril 2011 5 29 /04 /avril /2011 06:54

 

 

Dans bien longtemps

 

Dans bien longtemps je suis passé par le château des feuilles

Elles jaunissaient lentement dans la mousse

Et loin les coquillages s’accrochaient désespérément

Aux rochers de la mer

Ton souvenir ou plutôt ta tendre présence était à la

Même place

Présence transparente et la mienne

Rien n’avait changé mais tout avait vieilli en même

Temps que mes tempes et mes yeux

N’aimez-vous pas ce lieu commun? Laissez-moi laissez-

Moi c’est si rare cette ironique satisfaction

Tout avait vieilli sauf ta présence

Dans bien longtemps je suis passé par la marée du jour

Solitaire

Les flots étaient toujours illusoires

La carcasse du navire naufragé que tu connais - tu te

Rappelles cette nuit de tempête et de baisers ? - était-

Ce un navire naufragé ou un délicat chapeau de

Femme roulé par le vent dans la pluie du printemps ?

- était à la même place

Et puis foutaise larirette dansons parmi les prunelliers !

Les apéritifs avaient changé de nom et de couleur

Les arcs-en-ciel qui servent de cadre aux glaces

Dans bien longtemps tu m’as aimé.

 


 

Robert DESNOS in Les Ténèbres, poème XX. A la mystérieuse (recueil Corps et Biens)

 


 

 

90 peintures, dessins et céramiques de Kees VAN DONGEN (1877-1968) sont exposées jusqu’au 17 juillet 2011 au Musée d’art moderne de Paris 16e. On choisit ici d’illustrer le poème de Desnos de manière totalement subjective par les toiles qui suivent :

 

Van-Dongen.jpg 

...Présence transparente...

 

Femme sous un chapeau vert. -1905-

 

 

 

Van-Dongen-La-cafe-Florian-a-Venise-1921.jpg 

...tout avait vieilli sauf ta présence...

 

Le café Florian à Venise – 1921 –

 

 

 

Van-Dongen-Les-escarpins-mauves-1921.jpg 

...Dans bien longtemps tu m’as aimé.

 

 

Les escarpins mauves – 1921 -


 




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28 avril 2011 4 28 /04 /avril /2011 06:55

 

 

L’Éternité

 

 

Elle est retrouvée.

Quoi ? - L'Éternité.

C'est la mer allée

Avec le soleil.

 

Âme sentinelle,

Murmurons l'aveu

De la nuit si nulle

Et du jour en feu.

 

Des humains suffrages,

Des communs élans

Là tu te dégages

Et voles selon.

 

Puisque de vous seules,

Braises de satin,

Le Devoir s'exhale

Sans qu'on dise : enfin.

 

Là pas d'espérance,

Nul orietur.

Science avec patience,

Le supplice est sûr.

 

Elle est retrouvée.

Quoi ? - L'Éternité.

C'est la mer allée

Avec le soleil.

 

Arthur RIMBAUD in Derniers Vers. Fêtes de la Patience. Mai 1872

 

 

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L'Éternité.

C'est la mer allée

Avec le soleil.

 

 

 

 

 

Photo  Nuageneuf.via i-phone. Le Touquet. 24 avril 2011. 19h50. 



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27 avril 2011 3 27 /04 /avril /2011 06:34

 

 

Sur un petit air

 

Dans les tourbillons du vent
Le coeur vole vole vole
Dans les rayons du printemps

Le coeur vole vole vole
Dans la cage des amants
Le coeur vole vole vole
Dans l’orage et les tourments

Puis se pose pose pose
Se pose bien sagement
Puis se pose pose pose
Entre les bras d’un enfant

 

 

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Pierre Reverdy  (1889-1960)
 

 



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26 avril 2011 2 26 /04 /avril /2011 07:16

 

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Zoni Weisz montre sa carte d'identité de 1944; un document estampillé «Z» pour «Zigeuner» (Gitan). Il a tout juste sept ans.

 

 

 

 

 

 

 

 

Parmi celles et ceux qui ne sont pas revenus des camps nazis, on oublie souvent les centaines de milliers d'hommes, femmes et enfants des peuples Rom et Sinti (1). ...

 

Aux Pays-Bas, Zoni Weisz avait sept ans, ce jour de mai 1944, quand il a vu son père, sa mère, son frère et ses deux soeurs partir dans un train à destination d'Auschwitz.

 

 

« Nous étions une famille heureuse », résume Zoni Weisz, fils aîné d'une famille Sinti vivant aux Pays-Bas, avant de replonger dans les souvenirs les plus douloureux de sa vie. Petit garçon, Zoni a connu le temps des roulottes, puis la famille s'installe dans une maison à Zutphen, où son père répare des instruments de musique. « Au début de la guerre, les nazis nous laissaient relativement tranquilles », se souvient-il. Puis vint « le jour le plus noir dans l'histoire des Sintis et Roms : le 16 mai 1944 ».

 

Une rafle est organisée, ce sont des policiers néerlandais qui arrêtent Sintis et Roms pour les regrouper à Westerbork (2). Hannes et sa femme Koos sont emmenés avec leurs filles Rakli et Lena, 4 et 6 ans, et leur petit dernier, Émile, 8 mois. « Ce jour-là, j'étais chez ma tante, Moezla, qui habitait encore dans une roulotte », poursuit Zoni. « Quand on a appris ce qui était arrivé à la maison, on a rassemblé quelques vêtements puis on s'est enfuis avec un groupe de neuf personnes on s'est cachés dans une grange ».

 

« Cours pour ta vie »

 

Mais trois jours plus tard, le groupe est arrêté à son tour. « Le train était déjà parti de Westerbork, alors ils nous ont emmenés à la gare d'Assen pour rejoindre le convoi ». Pour Zoni, le véritable drame va se jouer sur le quai de cette gare. « On a attendu longtemps. Un policier était gentil avec nous, nous donnait à manger. Puis cet homme nous a dit : "Quand j'enlève mon képi, tu cours pour ta vie !" » Le train arrive. Une locomotive, des wagons à bestiaux. « J'ai vu tout de suite où était ma famille : j'ai aperçu ma mère, on lui avait déjà coupé ses longs cheveux noirs... »

 

Le policier enlève son képi au moment où un train de voyageurs démarre à l'autre côté du quai. Zoni et Moezla courent, montent dans le train en marche. « J'ai entendu mon père crier : "Moezla, occupe-toi bien de mon fils !" puis leur train s'est également mis en mouvement ».

 

Hannes, Koos, Rakli, Lena, Emile, ne reviendront pas.

 

Les semaines qui ont suivi ce déchirement, Zoni ne s'en souvient guère. « Je suis tombé dans un trou noir, résume-t-il. Jusqu'à la Libération, on se cachait dans une laiterie, entre les tanks et des tuyaux ».

 

Après la guerre, Zoni est d'abord accueilli par ses grands-parents. « Mais... j'étais intenable. » Une autre tante, Lena, propose alors de s'en occuper. « C'est elle qui a su me remettre sur les rails. » Le 27 janvier 2011, Zoni Weisz a raconté son histoire devant le parlement allemand. Il a rappelé que les lois raciales appliquées dès 1935 visaient autant les « Zigeuner » (Gitans) que les Juifs que ces peuples, qualifiés de « fremdrassig(de race étrangère) » par les nazis, subissaient le même sort, en étapes : identification, enregistrement, isolation, exploitation, déportation, extermination.

 

Puis Zoni a évoqué la situation des Roms et Sintis en Europe aujourd'hui. Il a pointé du doigt l'Italie et la France « où ils sont de nouveau victimes de discrimination, d'où ils sont renvoyés dans leur pays d'origine ». En Hongrie on voit réapparaître, sur les cafés et les restaurants, des panneaux « interdit aux gitans ». 

 

(1) Peuples originaires d'Inde, présents en Europe depuis le Moyen Âge. En France, pour les Sintis le terme « Manouches » est souvent utilisé.

 

(2) Aux Pays-Bas, lieu d'un camp de transition vers Auschwitz.

 

 

Article paru dans La Voix du Nord du 25.04.2011 © R. D.

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