Journal de l'année 1905. Extraits.
11 août.
(…)
Et voilà que je fais le petit enfant. Je dis à Marinette :
-- Tu as le petit enfant qu'il fallait à la satisfaction de tous tes instincts maternels, qui demande que d'abord on lui pardonne tout et qu'il ne faut pas qu'on gronde trop fort quand il ne travaille pas, et qui serait toujours heureux de ne jamais rien faire.
Marinette m'a tout donné. Pourrais-je dire que, moi, je lui ai tout donné ? Il me semble bien que mon égoïsme reste intact.
Quand je lui dis : « Sois franche », elle lit très bien dans mes yeux jusqu'où il faut aller.
C'est le seul être que je sois sûr d'aimer, avec moi. Et, encore, moi... Je me fais faire souvent une grimace de dégoût. Oui, elle, je l'aime beaucoup, et jamais je ne la juge mal.
Peut-être avait-elle peur de moi, et elle s'est dit : « Il n'y a qu'une manière de me sauver : c'est d'avoir en lui une confiance absolue. Je ne ferai jamais mal. Si cela m'arrive sans que je le sache, il me préviendra, et il me pardonnera. »
Parfois, quand elle regarde ses enfants, elle semble si près d'eux qu'on dirait deux de ses branches.
Par ses yeux on voit son coeur, un coeur rose. C'est du soleil.
Y a-t-il, au fond de ses yeux, sur la rétine, un miroir, un petit coin que la tendresse ne voile pas, et où je ne me reflète pas en beau ?
Ses bras nus ont frais.
J'ai Marinette : je n'ai plus droit à rien.
(…)
Je ne suis pas sûr qu'elle m'ait rendu meilleur, mais j'ai pris de bonnes apparences.
A la pensée qu'elle pourrait, à cause de moi, tomber dans la misère, j'ai un serrement de coeur, mais je me dis trop vite : « Comme elle la supporterait bien ! Elle m'aimerait encore davantage. »
- Je connais ma part, dit-elle, et je ne changerais avec aucune femme.
à suivre...