René Magritte. Le beau monde. -1962 -
"Je pouvais voir le monde comme s'il était un rideau placé devant mes yeux". R.Magritte.
René Magritte. Le beau monde. -1962 -
"Je pouvais voir le monde comme s'il était un rideau placé devant mes yeux". R.Magritte.
Sensation est le second poème du Cahier de Douai. Rimbaud n’a pas 16 ans – il les fêtera le 20 octobre 1870 - lorsqu’il écrit ces deux quatrains… « Et j’irai loin, bien loin » …
Sensation
Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers
Picoté par les blés, fouler l'herbe menue:
Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nue.
Je ne parlerai pas, je ne penserai à rien:
Mais l'amour infini me montera dans l'âme,
Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la nature, - heureux comme avec une femme.
Arthur RIMBAUD – mars 1870
Illustration : le manuscrit du poème.
Rêvé pour l'hiver
A ***Elle
L’hiver, nous irons dans un petit wagon rose
Avec des coussins bleus.
Nous serons bien. Un nid de baisers fous repose
Dans chaque coin moelleux.
Tu fermeras l’œil, pour ne point voir, par la glace,
Grimacer les ombres des soirs,
Ces monstruosités hargneuses, populace
De démons noirs et de loups noirs.
Puis tu te sentiras la joue égratignée…
Un petit baiser, comme une folle araignée,
Te courra par le cou…
Et tu me diras : "Cherche !", en inclinant la tête,
- Et nous prendrons du temps à trouver cette bête
- Qui voyage beaucoup...
Arthur RIMBAUD. 7 octobre 1870
...dans un petit wagon rose
Avec des coussins bleus...
Illustration : LES COUSSINS BLEUS. Yves DIEY (1892 - 1984)
Note: Le poème a une dédicace A***Elle, avec des étoiles pour masquer le nom de la belle élue. Les étoiles sont apparues plus tard, dans "Un cœur sous la soutane". Étrange début pour un rêve que de commencer par un verbe au futur: "L'hiver nous irons". Ici, la réalité est embellie : le wagon est de couleur rose et les sièges en bois qu’on imagine inconfortables sont recouverts de coussins bleus : "nous serons bien".
Je préfère le vin d'ici à l'eau de là.
Pierre Dac.
Tous les arbres toutes leurs branches toutes leurs feuilles
L’herbe à la base les rochers et les maisons en masse
Au loin la mer que ton œil baigne
Ces images d’un jour après l’autre
Les vices les vertus tellement imparfaits
La transparence des passants dans les rues de hasard
Et les passantes exhalée par tes recherches obstinées
Tes idées fixes au cœur de plomb aux lèvres vierges
Les vices les vertus tellement imparfaits
La ressemblance des regards de permission avec les yeux que tu conquis
La confusion des corps des lassitudes des ardeurs
L’imitation des mots des attitudes des idées
Les vices les vertus tellement imparfaits
L’amour c’est l’homme inachevé.
PAUL ELUARD in La Vie immédiate
L’amour c’est l’homme inachevé
Illustration : ARCIMBOLDO L'Eau -1563-
Fatradition : Amas confus de règles de vie, de valeurs et de coutumes, légué par les différentes mémoires dont nous sommes issus.
Méfiançailles : Période d’essai durant laquelle les couples - au lit, à la cuisine, et face au problème des commissions - testent anxieusement leur capacité de vivre ensemble.
Marathon laveur : Longue course purificatrice.
Promeuhnade : Déambulation des vaches.
Pharandole : Danse des lumières sur l’océan.
Sentimenteur : Personne hypocrite ou simplement distraite qui dit « je t’aime » en pensant à autre chose.
Suçoter : Chuchoter avec un çeveu sur la langue.
Spontaré : Qui profère des inepties sans avoir à forcer sa nature.
in Le Petit fictionnaire illustré. Alain FINKIELKRAUT. 1981 -
Le début du film de Claude Lanzmann, Shoah, est donné ce soir à partir de 21h30.
Oeuvre monumentale, voire oeuvre-monument, Shoah occupe une place à part dans l'historiographie audiovisuelle de l'extermination des juifs d'Europe. Sorti trente ans après Nuit et brouillard, qui façonna durablement l'imaginaire de la déportation, le documentaire-fleuve de Claude Lanzmann fait, depuis vingt-cinq ans, figure de référence indépassée. Mais sous l'ampleur intimidante de l'oeuvre, sous l'avalanche de commentaires qu'elle a pu susciter et sous la révérence qu'elle inspire même à ceux qui ne l'ont jamais vue réside un film qu'il convient de (re)découvrir pour en appréhender la valeur intrinsèque. C'est dire si sa programmation sur France 5 est une occasion à saisir.
(Re)voir aujourd'hui Shoah permet d'apprécier la pertinence de ses principes structurels, dont la radicalité sert un puissant parti pris historique. Exempt d'images d'archives et affranchi du poids de la chronologie, le film de Claude Lanzmann s'ancre dans le présent (celui de la parole comme celui des lieux) pour évoquer un passé effroyable dans ses aspects les plus concrets. Au fil des souvenirs de rescapés, de témoins et d'auxiliaires de la solution finale, il substitue au catéchisme mémoriel la réalité d'une rampe, d'un quai ou d'une cheminée, démasque l'envers funeste d'un herbage ou d'une rangée de conifères plantés à la hâte pour recouvrir les traces d'un charnier... Dégagé de toute sentimentalité, il dessine les contours d'un événement rétif à toute représentation pour en nourrir notre mémoire et ne plus la lâcher.
© Le Point - Publié le 10/03/2011 à 10:39
Photos de g. à dr. : "Jeanne" a été écrit dans l'année qui suivit la mort de sa mère, en 1977 - Jacqueline de Romilly ne se séparait jamais de la photo de sa mère posée sur son bureau dans un petit cadre doré - Veuve, pauvre et intelligente, Jeanne Maxime-David - son nom de plume - se voulait ambitieuse pour sa fille Jacqueline. Elle devint une romancière très célèbre à son époque. © Jean-Régis Roustan / Roger-Viollet/DR
Longtemps, les lecteurs et admirateurs de Jacqueline de Romilly ont été avant tout ses auditeurs de la Sorbonne, puis du Collège de France, et la communauté internationale des hellénistes. Cela faisait déjà beaucoup de monde, d'autant que la précocité et le nombre de ses succès de jeune fille aux concours les plus ardus, ou jusqu'alors réservés aux garçons, avaient fait d'elle, dès avant la Seconde Guerre mondiale (elle était née en 1913), une vedette maintes fois photographiée d'un féminisme républicain, à une époque où celui-ci misait sur le mérite, et non sur les quotas.
En 1969, elle entra en croisade pour la sauvegarde de l'enseignement classique et des études grecques déjà marginalisés par la réforme Faure. Ses pamphlets (Nous autres professeurs,L'enseignement en détresse), ses livres de généreuse vulgarisation (Pourquoi la Grèce ?, Une certaine idée de la Grèce, Alcibiade,Hector et, avant-hier encore, La grandeur de l'homme au siècle de Périclès), ses apparitions à la télévision où son charisme crevait l'écran firent d'elle une étoile de plus en plus éclatante. Amer triomphe, car ce civisme épuisant et l'immense sympathie qu'il suscita n'ébranlèrent pas le moins du monde nos princes successifs, persuadés par le Saint-Esprit hégélien que le progrès technique en marche se charge lui-même de l'éducation des jeunes générations. Elle tint bon, jusqu'à épuisement, voyant bien, sous l'alibi du réalisme, à quel lâche fatalisme elle avait à faire. (...) MARC FUMAROLI, DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE
"Jeanne au bracelet d'argent " : c'est ainsi qu'on l'appelait à cette époque, quand elle avait seize ou dix-sept ans. Je sais même d'où lui venait ce nom, et qui lui avait offert ce bracelet : un oncle le lui avait rapporté d'Indochine. J'imagine, connaissant les faibles moyens dont disposait sa famille, que ce bracelet, de provenance lointaine, devait être modeste. Sans cela, d'ailleurs, on ne le lui aurait pas laissé : quelque parente le lui aurait pris. Mais, malgré sa modestie, on prêtait attention au bijou, parce que, déjà alors, elle devait le porter avec cette fine coquetterie qui, toujours, attirait les hommes. Elle aimait plaire. Elle aimait l'élégance. Et que ne donnerais-je pour l'avoir entendue rire, alors, dans la grâce de ses seize ans !
C'est impossible, naturellement. Je ne l'ai pas connue alors. Je n'aurais pas pu : je suis sa fille - la fille de Jeanne au bracelet d'argent, ou plutôt de celle qui avait été Jeanne au bracelet d'argent. J'en suis donc réduite à l'imaginer, à partir de tout ce que j'ai su d'elle plus tard. J'ai aussi l'aide de ses photographies ; et beaucoup de photographies sont moins passées que nos souvenirs. Les photographies ne sont jamais prises dans les circonstances normales. Il s'agit de fêtes, de rencontres, de voyages. Mais sur toutes - à moins que ma connaissance de la suite ne me trompe - il me semble reconnaître, lié au charme et à la grâce, ce quelque chose d'irréductible, qui la distinguait entre toutes.
Rodin. Musée du Louvre.
Elle a la forme de mes mains
L'amoureuse
Elle est debout sur mes paupières
Et ses cheveux sont dans les miens,
Elle a la forme de mes mains,
Elle a la couleur de mes yeux,
Elle s'engloutit dans mon ombre
Comme une pierre sur le ciel.
Elle a toujours les yeux ouverts
Et ne me laisse pas dormir.
Ses rêves en pleine lumière
Font s'évaporer les soleils,
Me font rire, pleurer et rire,
Parler sans avoir rien à dire.
Paul Eluard. Quatrième poème de la seconde section Mourir de ne pas mourir in Capitale de la douleur.
Gala s’en est éloignée vers d’autres cieux... comme on sait. Elle était sa muse. « Elle a la forme de mes mains… ». Du passé heureux restent les souvenirs d’images souriantes que la séparation l’interdit de commenter : « Parler sans avoir à rien dire. »