Illustration : René Magritte. Dessin d'une femme qui fait une balade à cheval dans la forêt !
Nous avons déjà donné plusieurs poèmes tirés des Innocentines.
Voici de courts extraits notés, repris dans un entretien que De Obaldia donna à François Busnel en 2008.
R.De Obaldia : La littérature rime avec aventure. Il faut qu’écrire soit une nécessité. Les surréalistes posaient la question : « Pourquoi écrivez-vous ? » C’était une grande question. On peut renverser la question et demander : « Pourquoi n’écrivez-vous pas ? » C’est encore autre chose... À la question « Pourquoi écrivez-vous ? », certains affirmaient : « J’écris pour être riche, pour être célèbre. » François Mauriac répondait à peu près : « J’écris pour emmerder ma famille. » André Breton déclarait : « J’écris pour faire des rencontres. » Je prends cette formule à mon compte. Borges disait : « J’écris pour moi, pour mes amis et pour adoucir le cours du temps. » C’est superbe, ça ! J’ai écrit pour communiquer, pour dire des choses sans penser que je pourrais avoir de l’argent, parce que c’était naturel chez moi, parce que c’était une nécessité.
F.Busnel : Lorsque, en des temps sans doute plus durs que d’autres, vous avez été fait prisonnier de guerre et que vous avez passé quatre ans au stalag, vous avez écrit les Innocentines. Mais il s’agit de pièces très gaies, pas du tout tragiques. Dans la littérature des camps, c’est assez inédit...
R.De Obaldia : C’était un camp de discipline en Pologne. Je n’avais rien pour écrire. C’était en 1942, un moment de barbarie totale. J’avais besoin de revenir à une certaine virginité, à une certaine innocence. C’est pour cela que j’ai eu l’idée d’écrire ce premier poème pour enfants, Innocentines, sur des sacs d’engrais. Face à la sauvagerie, aux abominations, j’ai voulu revenir à une source même de la vie, de l’émerveillement, de l’étonnement, de l’innocence. Vous vous demandez pourquoi je n’ai pas écrit quelque chose de tragique ? C’était un besoin qu’on ne peut pas expliquer.
Dans sa dernière émission télévisée de la saison, le 27 mai 2010, François Busnel (La Grande Librairie) avait réuni sur la scène du Théâtre du Rond-Point de nombreux comédiens qui lurent des textes de leurs choix. De Obaldia était présent et lut Coq au vin, que voici in extenso :
Coq au vin
Au cours d’un grand dîner, la marquise, sans cause apparente, rendit son coq au vin sur le plastron de l’ambassadeur. L’assemblée voulut ne rien remarquer : elle était composée de nombreux diplomates.
Jusqu’ici, la marquise, jeune et singulièrement troublante, abreuvait de joie l’ambassadeur. Comment ce dernier aurait-il soupçonné que d’une bouche aussi divine, d’une telle voix de cristal, pussent jaillir des quartiers de coq, arrosés de ce liquide violet et généreux ?
Cela va attirer des complications avec la Russie, pensa le Turc qui faisait face à la marquise. Et, de satisfaction, il lissa sa fine moustache. L’Angleterre, voisin de la beauté et heureux pendant de l’ambassadeur, ramena son genou à bâbord. Son désir de coloniser la marquise se trouva quelque peu refroidi. Wang-Wei-Tchou en profita pour soulever la question de l’Antarctique. Les points de vue échangés témoignèrent de l’intelligence des hommes d’Etat, ainsi que de leur amour réciproque pour les Esquimaux.
La France restera toujours fidèle à sa tradition chevaleresque, claironna le général Beauchamp de Bompierre de Prepucet. C’est à cet instant qu’une deuxième vague de coq au vin atteignit le Turc, un peu trop souriant, en pleine ceinture.
L’on craignit pour les Dardanelles. L’Amérique étala ses pieds sur la table. Un hobereau donna de la crête. Plus éthérée que jamais, la marquise souriait à tous et se jeta sur la glace à la vanille. L’Angleterre prit nettement le large. Tout de même, la paix fut sauvegardée dans le monde quelques mois encore.
René De Obaldia in « Les richesses naturelles »
Note : Revoir La Grande Librairie et entendre De Obaldia lire ce texte ? Cliquez ici: link