9 novembre
Bien des évènements se sont déroulés un 9 novembre.
Le 9 novembre 1799 (18 Brumaire An VII), par un coup d'État, Napoléon Bonaparte prend le pouvoir et inaugure le Consulat avec un gouvernement constitué d'un Premier Consul (lui-même, dictateur de fait) et de deux Consuls : Cambacérès et Lebrun…
Le 9 novembre 1923, après une soirée agitée dans une brasserie de Munich, un agitateur brave la police de la ville à la tête de 3.000 militants et en compagnie du prestigieux général Ludendorff, héros de la Grande Guerre. Il a nom Adolf Hitler…
Le 9 novembre 1989, sous les caméras du monde entier, la jeunesse allemande se précipite à l'assaut du Mur de la honte…
Nous avons choisi d'autres évènements que nous nous proposons d’approcher dans les toutes prochaines publications.
9 novembre 1918
Deux jours avant la signature de l'armistice, Guillaume Apollinaire s'éteint, victime de la grippe dite "espagnole". Il a 38 ans.
26 avril 1915
Mon ptit Lou chéri,
Pas de lettre de toi aujourd’hui, hier assisté à la messe, prié pour toi, on chantait et je chantais aussi
Ô miraculeuse
Qu’on raille là-bas
Aux bords de la Meuse
Garde nos soldats
Ave Ave Ave Maria
Ave Ave Ave Maria […]
C’est la pécheresse
Au cœur enflammé
Absous ses faiblesses
Elle a tant aimé
Ave etc
Je pensais à toi pendant qu’on chantait cela, ma toute chérie, et je pensais avec ferveur à mon ptit Lou, que je voudrais si gentille, si mignonne, comme tu mérites de l’être avec cet esprit supérieur, primesautier, français, charmant qui est le tien, ma toute chérie […]
Aujourd’hui tristesse, Berthier a dû monter à la batterie de tir, j’irai le voir chaque matin, en allant au commandant. Je me construis une cabane pr habiter seul. C’est amusant comme tout de fabriquer sa maison. Après la paix…je tâcherai d’acheter un terrain et je fabriquerai un rendez-vous pour l’été. Ça m’amusera énormément de fabriquer ça. Je te raconterai comment j’ai fait et surtout comment j’ai meublé ma villa du front. En tout cas, j’ai une glace, une cuvette, une cuve pr le tub, un matelas en varech et un traversin, ça peut t’épater mais c’est comme ça, une table aussi. Ça a été difficile à se procurer, mais j’ai ça…J’attends tes photos avec une impatience fantastique. J’aimerais bien des photos où on te voit… les petites photos c’est gentil, je les aime bien, mais je préfère, tu le comprendras, celles où on voit quelque chose.
Enfin quoi, mon Lou, je ne m’en fais pas, ça ne vaut pas la peine. Je prends la vie comme elle vient et les obus idem. Tu es mon seul souci. Aujourd’hui sans lettre de toi, je suis sur des charbons ardents. Demain te ferai des vers. Aujourd’hui beaucoup de travail pas amusant ? T’en dis pas plus. T’écris sais pas bien comment et ma lettre doit être d’un décousu. Pas le temps de la relire et c’est pas d’aller dans le monde qui me rend si pressé… Je t’embrasse tout plein, je t’adore, je te prends toute, ma toute chérie, et te berce doucement en te câlinant gentiment, gentiment.
Gui
26 avril 1915
Mon petit Lou, ta lettre d’aujourd’hui m’a rempli de stupéfaction. Prends garde avec ta vie de patachon !!! de ne pas me faire donner congé de mon appartement après la guerre. J’y suis très bien. Ne fais pas de bruit, je t’en supplie, n’y reçois pas trop de poilus. C’est une maison où il y a un sénateur et je ne sais quoi encore. Je t’en supplie, mon Lou, tu me ferais un tort irréparable, si je me trouvais sur le pavé après la Guerre. Je ne paye pas mon loyer pendant la guerre et après la guerre on attendra, mais pour ça faut pas que des ptit Lou viennent faire les fous là-dedans. Vu de loin la vie que tu mènes a quelque chose d’insane. Pendant que nous trimons ici et attrapons peut-être la crève, on bamboche à Paris ! […]
Est-ce que tu reçois toutes mes lettres ? Elles sont toutes datées et doivent se suivre. Je te prends dans mes bras mon ptit Lou et t’embrasse mignonnement tandis que tes belles paupières battent comme des pétales de fleur de pêcher, ma jolie, mon tout.
Ton
Gui.
Guillaume Apollinaire
Lettres à Lou
"Reconnais-toi
Cette adorable personne c'est toi
Sous le grand chapeau canotier
Oeil
Nez
La bouche
Voici l'ovale de la figure
Ton cou exquis
Voici confus l'impur fait mirage
De ton buste doré vu comme à travers un nuage
Un peu plus bas c'est ton coeur qui bat"
Ajout adressé à 17h00 par Jacques :
" Affecté au 38ème régiment d'artillerie de campagne, Guillaume Apollinaire arrive à Nîmes le 6 décembre 1914. Après qu'elle se fut maintes fois dérobée, Louise le rejoint enfin le 7 et l'attend à
l'Hôtel du Midi, Square de la Couronne.
Ils vont s'y aimer, pendant huit jours et huit nuits , avec la démence propre à toute passion exaltée par le génie, et déjà, sans soute, secrètement condamnée à l'impossibilité, par l'aimée.
De cet amour impossible surgiront jour après jour pendant toute l'année 1915 les délires, les appels et les cris déchirants des lettres et poèmes à Lou, justement célèbrés.
L'Hôtel du Midi après avoir été longtemps désaffecté fut détruit dernièrement.
Sur sa façade on put lire pendant très longtemps, gravé dans une plaque de marbre à l'initiative d'admirateurs , le rappel que, à l'abri de ses murs, Apollinaire aima passionnément Louise de
Châtillon-Coligny "qui lui inspira les immortels poèmes à Lou".
Exemple rarissime, et peut-être unique, d'un fait amoureux signalé à l'attention des clients d'un hôtel, des touristes et des flâneurs."
Jacques
...l'hôtel du midi...
Le 12 septembre, c'était la Saint Apollinaire !...
Juins de Paris
Juin ton soleil ardente lyre
Brûle mes doigts endoloris
Triste et mélodieux délire
J'erre à travers mon beau Paris
Sans avoir le coeur d'y mourir
Les dimanches s'y éternisent
Et les orgues de Barbarie
Y sanglotent dans les cours grises
Les fleurs aux balcons de Paris
Penchant comme la tour de Pise
Soirs de Paris ivres du gin
Flambant de l'électricité
Les tramways feux verts sur l'échine
Musiquent au long des portées
De rails leur folie de machines
Les cafés gonflés de fumée
Crient tout l'amour de leurs tziganes
De tous leurs siphons enrhumés
De leurs garçons vêtus d'un pagne
Vers toi toi que j'ai tant aimée
Moi qui sais des lais pour les reines
La complainte de mes années
Des hymnes d'esclave aux murènes
La romance du mal-aimé
Et des chansons pour les sirènes
Guillaume Apollinaire
La chanson du mal aimé, 1913
...Y sanglotent dans les cours grises
Les fleurs aux balcons de Paris...
Piet MONDRIAN
La Place de la Concorde,
tableau commencé en 1938, terminé en 1943.
...Soirs de Paris ivres du gin...
Marc CHAGALL
Le quai de Bercy, 1953
Guillaume Apollinaire.
Si je mourais là-bas …
Si je mourais là-bas sur le front de l’armée
Tu pleurerais un jour ô Lou ma bien-aimée
Et puis mon souvenir s’éteindrait comme meurt
Un obus éclatant sur le front de l’armée
Un bel obus semblable aux mimosas en fleur
Et puis ce souvenir éclaté dans l’espace
Couvrirait de mon sang le monde tout entier
La mer les monts les vals et l’étoile qui passe
Les soleils merveilleux mûrissant dans l’espace
Comme font les fruits d’or autour de Baratier
Souvenir oublié vivant de toutes choses
Je rougirais le bout de tes jolis seins roses
Je rougirais ta bouche et tes cheveux sanglants
Tu ne vieillirais point toutes ces belles choses
Rajeuniraient toujours pour leurs destins galants
Le fatal giclement de mon sang sur le monde
Donnerait au soleil plus de vive clarté
Aux fleurs plus de couleur plus de vitesse à l’onde
Un amour inouï descendrait sur le monde
L’amant serait plus fort dans ton corps écarté
Lou si je meurs là-bas souvenir qu’on oublie
- Souviens-t’en quelquefois aux instants de folie
De jeunesse et d’amour et d’éclatante ardeur –
Mon sang c’est la fontaine ardente du bonheur
Et sois la plus heureuse étant la plus jolie
Ô mon unique amour et ma grande folie
30 janvier 1915, Nîmes.
La nuit descend
On y pressent
Un long un long destin de sang
Guillaume APOLLINAIRE, 1880 - 1918
Poèmes à Lou
...Et sois la plus heureuse étant la plus jolie...
Picabia
Les seins, 1924-1927
* * *
Poèmes à Lou est un ensemble disparate de morceaux retrouvés après la mort du poète, et arbitrairement réunis en 1925. "Poèmes à Lou", écrit en 1914-1915, constitue le témoignage poétique d'une passion impétueuse, libertine et cérébrale qu' Apollinaire éprouvait pour Louise de Coligny-Châtillon, dite Lou, une belle aristocrate rencontrée à Nice en 1914. Elle fera languir son prétendant amoureux fou d'elle sans jamais céder (?). Apollinaire s'engage alors dans le régiment d'artillerie de Nîmes. Mais sa vie dans les tranchées lui inspirera une correspondance passionnée, à laquelle Lou succombera. A Apollinaire ou à la correspondance ? The choice is yours.
... est un ensemble hétéroclite de morceaux retrouvés après la mort du poète, et arbitrairement réunis en 1925. Ils
La suite de Cendrillon –
Il n’a pas été dit ce que devint l’équipage de Cendrillon lorsqu’après le second bal de la cour, ayant entendu sonner le premier coup de minuit et ayant perdu sa pantoufle de vair, elle ne le retrouva plus à la porte du palais royal.
La fée, qui était la marraine de Cendrillon, n’eut point la cruauté de faire redevenir rat le gros cocher qui avait de maîtresses moustaches, et lézards les six laquais aux habits chamarrés, et, comme elle leur faisait l’honneur de les laisser hommes, elle laissa par la même occasion la citrouille creuse changée en beau carrosse doré et les six souris restèrent six beaux chevaux gris de souris pommelés.
Mais au premier coup de minuit, le gros cocher se prend à penser qu’il tirera plus d’argent de la vente du carrosse et des chevaux qu’il ne gagnera en épargnant sur ses gages durant de longues années, et que les six laquais, paresseux fieffés, formeront volontiers une bade dont il sera le chef et qui ira rançonner les voyageurs sur les ds chemins.
Et fouette cocher ! L’attelage détala avant que Cendrillon fût arrivée à la porte du palais. Il ne s’arrêta que devant un cabaret où, tout en mordillant un dindon flanqué de deux poulardes et en vidant les pots pleins de vin, cette noble clique vendit les chevaux et la voiture au cabaretier qui en offrait un nombre suffisant de pistoles. Ils changèrent aussi de vêtements et s’armèrent. Le gros cocher, nommé Sminthe, avait pris un déguisement particulier. S’étant coupé les moustaches, il s’habilla en femme et mit une jupe de satin vert, une robe à l’ange et un collier. C’est en cet état qu’il fut en mesure de diriger sans risques ses six fripons de compagnons. Les comptes étant réglés de part et d’autre, ils dirent adieu au cabaretier et quittèrent Paris pour aller ainsi qu’ils le disaient : battre l’antiffe sur le grand trimard.
Nous ne les suivrons pas dans leurs exploits sur les routes, dans les foires , dans les châteaux, où la bande se comporta si bien, que dans le court espace de sept années, ils étaient devenus tous si riches qu’ils purent se retirer à Paris où ils vivaient grassement.
Durant le temps où il avait vécu habillé en femme, Sminthe avait pris la coutume de sortir peu, ce qui lui permettait de beaucoup penser à combiner les bons coups qu’il faisait exécuter par ses six brigands-laquais- lézards, il avait aussi appris à lire et ramassé un certain nombre de livres parmi lesquels il y avait les Révélations de Sainte Brigitte, l’Alphabet de l’imperfection et malice des femmes, les Centuries de Nostradamus, les Prédictions de l’enchanteur Merlin, et bien d’autres ouvrages plaisants et de même farine. Il prit goût à la lecture et une bonne partie de son temps, après que la bande se fut mise à la retraite, Sminthe le passait dans sa librairie, lisant et méditant sur le pouvoir des fées, sur le peu de chose qu’est l’intelligence ou ruse des hommes et sur les fondements du vrai bonheur. Et le voyant toujours fourré dans son cabinetauxlivres, ses six acolytes qui entre eux ne l’appelaient pas Sminthe mais Lerat, à cause de ses origines ou plutôt de ce qu’ils en savaient, car ils honoraient inconsciemment cet animal comme les sauvages honorent leur totem et les animaux qui y sont figurés, finirent par le désigner sous l’appellation : Lerat de bibliothèque, qui fit fortune et c’est sous ce nom qu’il était désigné dans 1 rue de Bussy où il habitait, qu’il compila maints ouvrages qui n’ont pas vu le jour, mais dont les manuscrits sont conservés à Oxford.
Le temps qu’il avait de reste, il le consacrait à l’éducation de ses six brigandeaux, qui tous firent leur chemin, l’un comme peintre qui tirait à merveille les portraits des belles tavernières, le deuxième comme poète qui faisait des chansons que le troisième mettait en musique et reprenait sur le luth, tandis que le quatrième dansait parfaitement des sarabandes où il prenait mille postures gentilles et bouffonnes, le cinquième devint excellent sculpteur et taillait des statues gracieuses dans le saindoux pour les montres des charcutiers, tandis que le sixième, architecte sans second, bâtissait sans cesse des châteaux en Espagne. Comme on les voyait toujours ensemble, bien que personne n’eût vent de ce qu’ils avaient été, on les appelait les Arts, parce qu’ils représentaient à eux six : la Poésie, la Peinture, la Sculpture, l’Architecture, la Musique et la Danse. Et on peut admirer ici combien les surnoms populaires sont sensés puisque « les Arts » étaient bien nommés, ayant été des lézards.
Sminthe ou Lerat de bibliothèque mourut en odeur de sainteté et quatre de ses compagnons moururent aussi dans leur lit. Lacerte le poète et Armonidor le musicien leur survécurent et menèrent si mal leurs affaires qu’ils furent contraints pour subsister de recourir à nouveau à leur adresse. Entrés une nuit au Palais Royal, ils emportèrent une cassette. Ils l’ouvrirent en rentrant chez eux et n’y trouvèrent qu’une paire de pantoufles de fourrure blanche et grise. C’étaient les pantoufles de vair de la reine Cendrillon et, au moment où ils se désespéraient du peu de prix de leur trouvaille, les exempts qui avaient trouvé leurs traces survinrent, les prirent et les firent marcher vers le Grand Châtelet.
Le délit était si grave et si bien constaté qu’ils ne pouvaient plus espérer se soustraire à la mort. Ils décidèrent de jouer aux dés à qui des deux prendrait tout sur lui et déchargerait l’autre.
Le perdant, qui était Armonidor, tint parole et sauva la vie à son compagnon en déclarant qu’il avait proposé à son ami une promenade et que celui-ci ne savait rien de ses intentions. Lacerte retourna donc chez lui et composa les épigraphes de ses amis, mais il mourut un mois après, car son art ne le nourrissait pas et il était consumé d’ennui. Quant aux petites pantoufles de vair, les hasards du temps font qu’on les voit à présent au musée de
Pittsbourg, en Pennsylvanie, qui les a cataloguées sous la mention Videpoches (première moitié du XIXè siècle), bien qu’elles soient authentiquement du XVIIè siècle, mais cette appellation donne à penser qu’elles servaient en effet de vide-poches à l’époque indiquée par les archéologues de Pittsbourg.
Mais on se perdrait en conjectures si l’on voulait essayer de préciser comment les petites pantoufles de vair de Cendrillon ont passé en Amérique.
Guillaume Apollinaire, 1919.
Apollon et Daphné
Œuvre de Le Bernin
en marbre de 243 cm de hauteur, elle est exposé a la Galleria Borghèse à Rome. Elle fut commandée par le cardinal Borghèse en 1622 .
Le pont Mirabeau
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine.
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l'onde si lasse
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
L'amour s'en va comme cette eau courante
L'amour s'en va
Comme la vie est lente
Et comme l'Espérance est violente
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Guillaume Apollinaire in Alcools - 1912 -
Illustration : Marie Laurencin. Le pont, 1940.
Note :
Paul Celan s'est suicidé le 20 avril 1970 en se jetant dans la Seine. Plusieurs biographes pensent qu'il se serait jeté du pont Mirabeau.
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine.
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l'onde si lasse
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
L'amour s'en va comme cette eau courante
L'amour s'en va
Comme la vie est lente
Et comme l'Espérance est violente
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure
Guillaume Apollinaire in Alcools - 1912 -
Note :
Paul Celan s'est suicidé le 20 avril 1970 en se jetant dans la Seine. Plusieurs biographes pensent qu'il se serait jeté du pont Mirabeau.
Une lettre à Louise dans laquelle Apollinaire parle du « métier de poète » que Lou prenait un malin plaisir à dédaigner.
Nîmes, le 18 janvier 1915
[…]
Maintenant, je te prie de ne plus me chiner sur le métier de poète. Je sais bien que c’est gentiment mais c’est une habitude que tu prendrais facilement. D’abord être poète ne prouve pas que l’on ne puisse faire autre chose. Beaucoup de poètes ont été autre chose et fort bien — (je t’écris à la cantine — excuse ce papier, Lou chéri —). D’autre part, le métier de poète n’est pas inutile, ni fou, ni frivole. Les poètes sont les créateurs, (poète vient du grec et signifie en effet créateur et poésie signifie création) — Rien ne vient donc sur terre, n’apparaît aux yeux des hommes s’il n’a d’abord été imaginé par un poète. L’amour même, c’est la poésie naturelle de la vie, l’instinct naturel qui nous pousse à créer de la vie, à reproduire. Je te dis cela pour te montrer que je n’exerce pas le métier de poète simplement pour avoir l’air de faire quelque chose et de ne rien faire en réalité. Je sais que ceux qui se livrent au travail de la poésie font quelque chose d’essentiel, de primordial, de nécessaire avant toute chose, quelque chose enfin de divin. Je parle de ceux qui, péniblement, amoureusement, génialement, peu à peu peuvent exprimer une chose nouvelle et meurent dans l’amour qui les inspirait. Voilà, Lou, encore une lettre trop longue, si tu la lis bien, sinon je me vengerai en poète, c’est-à-dire divinement et tu sais que la vengeance est le plaisir des dieux. Je t’aime mon Lou, mais je suis fâché que dans tes lettres de maintenant tu sembles penser moins fortement à moi, ce semble, qu’il y a quelques jours. Mais je suis content tout de même en prévision de la permission.
Je t’aime, Amour.
Illustration : Louise de Coligny de Châtillon et Guillaume Apollinaire.
Ispahan
Pour tes roses
J'aurais fait
Un voyage plus long encore
Ton soleil n'est pas celui
Qui luit
Partout ailleurs
Et tes musiques qui s'accordent avec l'aube
Sont désormais pour moi
La mesure de l'art
D'après leur souvenir
Je jugerai
Mes vers les arts
Plastiques et toi-même
Visage adoré
Ispahan aux musiques du matin
Réveille l'odeur des roses de ses jardins
J'ai parfumé mon âme
A la rose
Pour ma vie entière
Ispahan grise et aux faïences bleues
Comme si l'on t'avait
Faite avec
Des morceaux de ciel et de terre
En laissant au milieu
Un grand trou de lumière
Cette
Place carrée Meïdan
Schah trop
Grande pour le trop petit nombre
De petits ânes trottinant
Et qui savent si joliment
Braire en regardant
La barbe rougie au henné
Du Soleil qui ressemble
A ces jeunes marchands barbus
Abrités sous leur ombrelle blanche
Je suis ici le frère des peupliers
Reconnaissez beaux peupliers aux fils d'Europe
Ô mes frères tremblants qui priez en Asie
Un passant arqué comme une corne d'antilope
Phonographe
Patarafes
La petite échoppe
Guillaume Apollinaire in Il y a (posthume)
Note : à venir... Ispahan cent ans plus tard.