«La Poésie est comparable à ce génie des Nuits Arabes qui, traqué, prend tour à tour les apparences les plus diverses afin d'éluder la prise, tantôt flamme et tantôt murmure ; tantôt poisson, tantôt oiseau ; et qui se réfugie enfin dans l'insaisissable grain de grenade que voudrait picorer le coq.
La Poésie est comparable également à cet exemplaire morceau de cire des philosophes qui consiste on ne sait plus en quoi, du moment qu'il cède l'un après l'autre chacun de ses attributs, forme, dureté, couleur, parfum, qui le rendaient méconnaissable à nos sens. Ainsi voyons-nous aujourd'hui certains poètes, et des meilleurs, refuser à leurs poèmes, rime et mesure et césure (tout le sine qua nondes vers, eût-on cru), les rejeter comme des attributs postiches sur quoi la Muse prenait appui ; et de même : émotion et pensée, de sorte que plus rien n'y subsiste, semble-t-il, que précisément cette chose indéfinissable et cherchée : la Poésie, grain de grenade où se resserre le génie. Et que tout le reste, auprès, paraisse impur ; tâtonnements pour en arriver là. C'est de ces tâtonnements toutefois qu'est faite l'histoire de notre littérature lyrique. »
L'Anthologie de la poésie françaiseest un choix de poèmes effectué par Georges Pompidou et publié en 1961 chez Hachette. La sélection retrace l'histoire de la poésie française de Eustache Deschamps (1346-1406) à Paul Eluard (1895-1952). L'anthologie s'ouvre sur la Ballade sur la mort de Du Guesclin (Deschamps) et se clôt par ces deux seuls et uniques vers de Paul Eluard :
Je fis un feu, l’azur m’ayant abandonné…
Bonjour tristesse…
G.Pompidou dans sa longue préface (une quarantaine de pages) définit ainsi la poésie :
« Qu'est-ce que la poésie ? ... Qu'est-ce que l'âme ? ... Lorsqu'un poème, ou simplement un vers, provoque chez le lecteur une sorte de choc, le tire hors de lui-même, le jetant dans le rêve ou au contraire le contraint à descendre en lui plus profondément, jusqu'à le confronter avec l'être et le destin, à ces signes se reconnaît la réussite poétique." Telle est bien sûr, l'ambition secrète et démesurée de tout auteur d'anthologie. S'il la commence pour lui-même, c'est pour d'autres qu'il la termine et la publie. Choisir tout ce qui lui paraît digne et capable de provoquer chez le lecteur le choc de la beauté, voilà l'objet de son effort. C'est dire qu'il se trahit lui-même puisqu'il livre le secret de ce qui le touche. Mon ambition est bien de donner ici l'essentiel de notre poésie, c'est-à-dire les plus beaux vers de la langue française, ceux que je trouve tels, sans doute, mais avec l'espoir qu'ils le sont vraiment. »
Il y a eu beaucoup de massacres au 20ème siècle, et beaucoup d'événements tragiques, mais la Shoah n'est pas un événement comme les autres. Dans le pays qui passait à l'époque pour le plus avancé d'Europe - voire du monde, et qui a mobilisé tous les moyens de la technique moderne dans ce but prioritaire, s'est produit l'événement central du vingtième siècle. Il est incompréhensible, mais sans lui, on ne comprendrait rien. C'est un événement décisif, une coupure qui a fait vaciller l'humain en tant que tel et dont aucune institution - politique, culturelle ou religieuse - n'est sortie indemne. Sa singularité est absolue. Arrivée en dehors de toute loi, la Shoah n'est ni visible, ni représentable, ni même racontable. Tout au plus peut-on la rendre lisible - et encore, cette lecture est soumise à des conditions irréductibles.
Après la Shoah, il n'y a plus que des survivants. Les souvenirs de ceux qui en ont réchappé se sont figés. On ne revient ni de la mort, ni de l'oubli, et ce qu'on peut en dire aujourd'hui, dans la présence, n'est qu'un simulacre - comme l'a exprimé l’immense film de Claude Lanzmann, Shoah, qui n'a montré du passé que ce qui est encore présent et a créé l'usage d'un mot. On ne peut la transmettre que comme un secret indicible. Et même si cette volonté de rester dans l'irreprésentable respecte, elle aussi, des normes instituées, il n'y a pas d'autre choix.
Un objet absolument autre ne peut être qu'absolument absent, absolument soustrait à l'esthétisation. Adorno l'a dit depuis longtemps : Plus de poésie après Auschwitz. Mais l'art doit-il se retirer ? Ou au contraire, n'y a-t-il que l'art qui, à sa façon (sans représentation) puisse prendre silencieusement la Shoah pour objet, justement parce qu'elle est irreprésentable ? Toute l'oeuvre de Paul Celan depuis sa Fugue de mortva dans ce sens.
On peut réagir à la Shoah par l'historiographie, en proposant des sytèmes d'explication plus ou moins rationnels, comme les Juifs eux-mêmes l'avaient fait pour d'autres persécutions comme l'expulsion d'Espagne. Mais l'explication rationnelle butera toujours sur un impossible.
Son oeuvre maîtresse, Maus,fait le récit de l'expérience concentrationnaire de son père, avec comme base l'idée de représenter les Juifs sous la forme de souris, les Allemands sous la forme de chats, les nazis sous la forme de chiens et les Polonais sous la forme de porcs. Salué par un prix Pulitzer en 1992, Mausest surtout considéré comme l'une des deux oeuvres, avec Shoahde Claude Lanzmann, à avoir réussi à surmonter le caractère non représentable de la solution finale.
Liliane Woutersest née en 1930 à Ixelles (commune de Bruxelles). Membre de l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique et de l'Académie européenne de poésie, elle est poète, auteur dramatique, traductrice et auteur d'anthologies. Traduite en plusieurs langues, elle a obtenu de nombreux prix littéraires dont, pour l’ensemble de son œuvre, le prestigieux Prix Montaigne, de la Fondation Frédéric von Schiller (Hambourg-1995-).
Institutrice, sa pièce La salle des profs (1983) reste toujours très prisée et reprise encore de nos jours très régulièrement.
Mlle Blanche fait des vers. Elle trouve qu'il y a des gens qui les font mal. Elle recherche la délicatesse. Une personne l'engage à multiplier ses châles et ses fourrures. Elle lui répond, en vers, qu'une chose tient plus chaud qu'une fourrure : c'est l'amitié. Elle débite ainsi aux amis qui lui offrent à dîner un petit compliment sucré. Pour elle, la poésie, c'est cela. Une idée fine qui lui vient et qu'elle versifie la rend heureuse toute la journée. Elle ne se fait pas un autre idéal du poète et, par instants, elle pense qu'elle-même est cet idéal. Qui osera lui dire qu'elle se trompe ?