©Andy RILEY
©Andy RILEY
19 juin
« Le papillon rêve. Fleurs moirées, larmes d'argent par milliers. Un vent de bronze glisse son ventre sur les pétales du coquelicot. Satin jaune dans la nuit. Le ciel a jeté ses poudres, la terre respire, s'enfle et soupire, sous la voûte clignotante d'étoiles.
Soudain, un grondement. Au loin, le bleu fonce. Un œil surgit, tel un roi. Vite ! S'envoler ! L'arbre là-bas à l'orée sera le salut. Les ailes poussiérées d'or et vermeilles, la lune salue la danse de la petite merveille. Enfin le chêne, sa rigueur, ses lèvres en quantité, leurs baisers murmurants et sages.
Lisse et froid. Un pilier. L'odeur de métal. Et juste à ce moment-là, l'orage éclate, pareil à un tigre gigantesque, un diable blond. L'œil est l'orage. L'œil est le diamant. »
Sandrine Rotil-Tiefenbach
- extrait de "La Reine des flambes" [premier manuscrit didactique, achevé en 2000 et radicalement impubliable] -
Le moqueur moqué
Un escargot
Se croyant beau, se croyant gros,
Se moquait d'une coccinelle.
Elle était mince, elle était frêle
Vraiment, avait-on jamais vu
Un insecte aussi menu !
Vint à passer une hirondelle
Qui s'esbaudit du limaçon.
- Quel brimborion! s'écria-t-elle,
C'est le plus maigre du canton
Vint à passer un caneton.
- Cette hirondelle est minuscule,
Voyez sa taille ridicule
Dit-il d'un ton méprisant.
Or, un faisan aperçut le canard et secoua la tête :
- Quelle est cette minime bête ?
Au corps si drôlement bâti ?
On n'a jamais vu plus petit
Un aigle qui planait, leur jeta ces paroles
- Êtes-vous fous ? Êtes-vous folles ?
Qui se moque du précédent
Sera moqué par le suivant.
Celui qui d'un autre se moque
À propos de son bec, à propos de sa coque,
De sa taille ou de son caquet,
Risque à son tour d'être moqué.
Pierre Gamarra
Vocabulaire :
s'esbaudir : se réjouir autant que fait un baudet qui se donne du plaisir en se frottant et se roulant dans un pré.
brimborion : des choses menues ou de peu de valeur.
Pierre Gamarra en 1945 à Toulouse, sa ville natale.
Très chère Zouc
Publié le 13-10-2010 à 10h15 - Mis à jour le 14-10-2010 à 08h55 - Par Jérôme Garcin
Cela fait plus de vingt ans que Zouc nous manque. Le vide qu'elle a laissé est proportionnel à la place hénaurme qu'elle a occupée.
Ceux qui l'ont vue sur scène n'ont jamais oublié son physique primitif, son cheveu noir et plaqué, son regard halluciné, sa bouche élastique, sa faculté effrayante et grotesque de se métamorphoser en nouveau-né grimaçant, en si-gentille-petite-fourmi, en vieillarde arthritique, en Vierge Marie ou en folle enfermée à l'asile. C'est une expérience qu'elle a connue : à l'adolescence, elle a été internée, pendant dix-huit mois, dans un hôpital psychiatrique, où elle a appris à se balancer avec les agités. Née dans le Jura bernois en 1950, elle s'appelait encore Isabelle von Allmen. De devenir Zouc l'a sauvée. Du Vieux-Colombier à Bobino, elle s'est appliquée à canaliser son hystérie, à gérer sa douleur, à maîtriser sa violence et à se décharger, sur un public fasciné, pétrifié, de tout ce qui l'encombrait : une cruauté sans nom et une tendresse sans emploi.
Elle a disparu aussi vite qu'elle était apparue. Opérée à Paris, en 1997, d'un cancer du sternum, victime d'une infection nosocomiale, elle survit aujourd'hui, en Suisse, sous un harnais et une assistance respiratoire, étonnée de voir, après qu'on lui a enlevé les côtes, son cœur d'enfant battre sous sa peau. En septembre 2006, Zouc, qui se reposait à La Chaux-de-Fonds, nous avait confié qu'elle était une « miraculée » et qu'elle avait parfois l'impression d'être « une sorte de poussin » : « Je redécouvre tout comme si je venais au monde. Chaque jour, je grandis un peu plus. Vivre est un très long apprentissage. » Elle nous avait dit aussi combien elle avait besoin « d'exister dans la mémoire des autres ».
Qu'elle se rassure, elle est inoubliable. Il y a quatre ans, Thomas Simonnet a réédité, chez Gallimard, « Zouc par Zouc », son autobiographie parlée qu'Hervé Guibert avait recueillie d'une traite, en 1974, à la terrasse d'un café d'Avignon. Et puis Nathalie Baye a joué ce texte volcanique au Théâtre du Rond-Point. Aujourd'hui, dans un livre bref, la romancière Maryline Desbiolles paie sa dette à cette artiste tragi-comique qui lui semble avoir été peinte à la fois par Holbein et Giacometti. Chez cette femme « envahissante », l'auteur de « la Seiche » retrouve la drôlerie de ses mère et grand-mère savoyardes. « Elle me manque », écrit-elle aussi. C'est fou, ce regret qu'on a tous d'elle, ce besoin qu'on a de lui parler. Bonjour, très chère Zouc, j'espère que vous allez bien.
Jérôme Garcin
Une femme drôle, par Maryline Desbiolles,
L'Olivier, 74 p., 11 euros.
***
Source : « ©Le Nouvel Observateur » du 7 octobre 2010
Le téléphone. -" Madame von Allmen....Voui...Voui... !!!
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Le chat et l'oiseau
Un village écoute désolé
Le chant d'un oiseau blessé
C'est le seul oiseau du village
Et c'est le seul chat du village
Qui l'a à moitié dévoré
Et l'oiseau cesse de chanter
Le chat cesse de ronronner
Et de se lécher le museau
Et le village fait à l'oiseau
De merveilleuses funérailles
Et le chat qui est invité
Marche derrière le petit cercueil de paille
Où l'oiseau mort est allongé
Porté par une petite fille
Qui n'arrête pas de pleurer
«Si j'avais su que cela te fasse tant de peine,
Lui dit le chat,
Je l'aurais mangé tout entier
Et puis j'aurais raconté
Que je l'avais vu s'envoler
S'envoler jusqu'au bout du monde
Là-bas où c'est tellement loin
Que jamais on n'en revient
Tu aurais eu moins de chagrin
Simplement de la tristesse et des regrets.»
Il ne faut jamais faire les choses à moitié.
Jacques PREVERT
©Léa P.
(2002-2003) La Cyberclasse
Ecole de Saint-Paul-de-Varces
Le douloureux travail de mémoire des entreprises allemandes.
Le P-DG du groupe agroalimentaire Dr. Oetker a reconnu le passé nazi de son père. Le dernier aveu en date d'une longue série.
August Oetker, actuel président du groupe, se dit soulagé des révélations sur les convictions nazies de son père, mort en 2007. © Sipa
Les cadavres finissent toujours par ressortir du placard. Dans un entretien au journal Die Zeit, le président du groupe agroalimentaire allemand Dr. Oetker a reconnu que son père était un nazi. "Mon père était un national-socialiste, a avoué August Oetker, qui produit notamment des pizzas surgelées ainsi que des gâteaux et des desserts à préparer. Il ne voulait pas parler de cette période. Il disait : "Enfants, laissez-moi en paix.". Le patron de ce groupe très présent en France a expliqué que Rudolf-August Oetker, décédé en 2007, avait été influencé par son propre beau-père, Richard Kaselowsky, fervent supporteur d'Adolf Hitler. Cet "aveu" fait suite à la décision de la compagnie de financer les recherches d'un historien dont les travaux viennent d'être publiés dans un ouvrage intitulé Dr. Oetker et le national-socialisme. August Oetker avoue que ce livre a retiré un poids qui pesait sur ses épaules. "J'ai maintenant le sentiment que je connais les faits, résume-t-il. Le brouillard est désormais levé."
Cette société familiale n'est pas la première à faire table rase de son lourd passé. Depuis quelques années, les groupes allemands sont de plus en plus nombreux à avouer leur participation au régime nazi. En 2011, Hugo Boss avait lui aussi choisi de financer la publication d'un livre de Roman Köster, historien à l'université de la Bundeswehr à Munich. Le chercheur a enquêté pendant trois ans sur la vie d'Hugo Ferdinand Boss, créateur en 1924 d'une petite usine d'habillement dans le Bade-Wurtemberg. Les conclusions du chercheur dans son ouvrage intitulé Hugo Boss 1924-1945. L'histoire d'une usine d'habillement pendant la République de Weimar et le IIIe Reich n'ont pas cherché à édulcorer la triste réalité. Au bord de la faillite, Hugo Ferdinand Boss est entré au parti nazi afin de décrocher un gros contrat : celui de la fabrication de chemises brunes... Même si l'historien estime qu'il n'y a "pas d'indication que la société Hugo Boss ait joué un rôle déterminant dans la fabrication des uniformes nazis, ni qu'elle ait été impliquée dans leur conception", ses révélations font plutôt mauvais genre. L'usine du groupe a de surcroît utilisé sur ses chaînes des travailleurs forcés.
L'indemnisation des travailleurs forcés et de leurs descendants
L'actuel directeur général de la célèbre marque de costumes pour hommes, Claus-Dietrich Lahrs, avait auparavant travaillé pour Delton AG, la holding appartenant à Stefan Quandt. Celui-ci pointe à la 81e place au classement des plus grosses fortunes mondiales selon le magazine Forbes avec un patrimoine estimé à 11,9 milliards de dollars. Il est le propriétaire de 17,4 % du capital de BMW, qu'il a hérité de son grand-père. Lequel, selon un livre publié récemment, "faisait partie du régime" nazi . En accédant aux archives de la famille bavaroise, l'historien a découvert que Günther Quandt avait exploité, parfois jusqu'à la mort, plus de 50 000 travailleurs forcés afin de fabriquer les armes indispensables à Hitler.
Hormis certains exemples emblématiques, comme ceux de Krupp et Flick, qui avaient été condamnés au tribunal de Nuremberg, ou encore de la société Degesch, filiale de Degussa, qui produisait le Zyklon B utilisé dans les camps d'extermination, la plupart des entreprises allemandes sont parvenues à cacher leur collaboration avec le régime nazi au lendemain de la guerre. Mais ces dernières années, plusieurs groupes comme Deutsche Bank, Allianz, Dresdner Bank, Commerzbank, Daimler Benz ou Volkswagen ont accepté de lever le voile sur leurs activités durant le IIIe Reich et ont financé les travaux d'historiens.
En 2000, une loi a mis en place la Fondation Souvenir, Responsabilité et Avenir (Erinnerung, Verantwortung und Zukunft). Doté d'un capital de 5,2 milliards d'euros financé pour moitié par l'État fédéral, pour le reste par près de 6 500 entreprises, cet établissement d'intérêt public a déjà indemnisé plus de 1,66 million de travailleurs forcés et victimes du national-socialisme ou leurs descendants.
©LePoint.fr- Publié le 18 octobre 2013 à 13h42
Par ©FREDERIC THERIN (à Munich)
Le Lion et le Rat
Il faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde :
On a souvent besoin d'un plus petit que soi.
De cette vérité deux Fables feront foi,
Tant la chose en preuves abonde.
Entre les pattes d'un Lion
Un Rat sortit de terre assez à l'étourdie.
Le Roi des animaux, en cette occasion,
Montra ce qu'il était, et lui donna la vie.
Ce bienfait ne fut pas perdu.
Quelqu'un aurait-il jamais cru
Qu'un Lion d'un Rat eût affaire ?
Cependant il advint qu'au sortir des forêts
Ce Lion fut pris dans des rets,
Dont ses rugissements ne le purent défaire.
Sire Rat accourut, et fit tant par ses dents
Qu'une maille rongée emporta tout l'ouvrage.
Patience et longueur de temps
Font plus que force ni que rage.
Deux morales dans la même fable que chacun aujourd'hui encore connait par cœur. Sacré La Fontaine !
A l'origine, comme de coutume, il s'agit d' une fable d'Ésope, Le Lion et le Rat reconnaissant. Le thème fut repris par Marot dans son Épître à Lyon Jamet.
Le même thème de l'entraide est exposé dans la fable qui suit :
La Colombe et la Fourmi
Le long d'un clair ruisseau buvait une Colombe,
Quand sur l'eau se penchant une Fourmi y tombe.
Et dans cet océan l'on eût vu la Fourmi
S'efforcer, mais en vain, de regagner la rive.
La Colombe aussitôt usa de charité :
Un brin d'herbe dans l'eau par elle étant jeté,
Ce fut un promontoire où la Fourmi arrive.
Elle se sauve ; et là-dessus
Passe un certain Croquant qui marchait les pieds nus.
Ce Croquant, par hasard, avait une arbalète.
Dès qu'il voit l'Oiseau de Vénus
Il le croit en son pot, et déjà lui fait fête.
Tandis qu'à le tuer mon Villageois s'apprête,
La Fourmi le pique au talon.
Le Vilain retourne la tête :
La Colombe l'entend, part, et tire de long.
Le soupé du Croquant avec elle s'envole :
Point de Pigeon pour une obole.
Jean de la FONTAINE
Fable XI & XII du Livre deuxième, 1668
Vocabulaire :
Croquant : gueux, misérable, qui n’a aucun bien, qui en temps de guerre n’a pour toutes armes qu’un croc. Les paysans qui se révoltent sont de pauvres croquants. (Fur.)
Vilain : dans le vieux langage, signifiait un roturier, un paysan.
Tirer de long : signifie s’enfuir. (Fur.)
On a souvent besoin d'un plus petit que soi.
Patience et longueur de temps...
... Font plus que force ni que rage.
Piet MONDRIAN
Labyrinthe
Alcôve noire
Ces premiers froids que l’on réchauffe d’un sarment,
- Et des platanes d’or le long gémissement,
- Et l’alcôve au lit noir qui datait d’Henri IV,
Où ton corps, au hasard de l’ombre dévêtu,
S’illuminait parfois d’un rouge éclair de l’âtre,
Quand tu m’aiguillonnais de ton genou pointu,
Chevaucheuse d’amour si triste et si folâtre ;
- Et cet abyme où l’on tombait : t’en souviens-tu ?
Paul-Jean Toulet
Chansons
Ces premiers froids que l’on réchauffe d’un sarment,
Willy Ronis
©WillyRonis
S’illuminait parfois d’un rouge éclair de l’âtre,
Nu à la lumière du feu de bois
Delphin Enjolras, né le 13 mai 1865 à Coucouron (Ardèche) et mort le 23 décembre 1945 à Toulouse, est un peintre aquarelliste académique français.
Il est connu pour ses scènes de jeunes filles dans l'intimité. Il a étudié l'aquarelle avec Gaston Gérard puis à "l’École de Dessin de la Ville de Paris" avec Jean-Léon Gérôme & Pascal Dagnan-Bouveret.
Pierre BONNARD
Nu devant la cheminée
Christian BOBIN au fil de son roman L'homme joie évoque son expérience de la peinture de Soulages qui est pour lui un bouleversement total.
"Mon âme prend un bain de nuit devant ses tableaux. Pour moi, Soulages n'est pas un peintre, mais l'un des plus grands penseurs de tous les temps. Il a des noirs pascaliens. Il se sert du noir comme d'un ambassadeur pour faire venir la lumière. C'est inouï et génial. En jouant sur le relief, les sillons, la pâte de sa peinture, Pierre Soulages fait venir la lumière du ciel à partir de quelque chose qui devrait être morne, constant, sans nuances, comme le sont souvent nos jours. La matière de sa peinture a à voir avec le silence qu'une page heureuse peut modeler. C'est un peu comme une main qui se pose sur le coeur et qui commence à le masser, à l'apaiser, à le purifier. C'est une grande joie de voir ça. Ce sont des montagnes noires, heureuses. Des paradoxes. Heureuses, car la pensée est suscitée, réveillée, à son maximum. Les peintures de Soulages atteignent en moi LE grand lac des images ; le lieu souterrain de la psyché d'où vient toute poésie. Et il est très curieux qu'il atteigne ce lac en ayant supprimé toute représentation."
Pierre SOULAGES
Villa Medicis Rome.
Peinture 181*405 cm
12 avril 2012
©Archives Soulages
Si le poète se décourageait
Si le poète se décourageait,
les feuilles tomberaient des arbres -
et leurs branches prendraient
le profil de potences.
Si le poète se décourageait,
les femmes enceintes
ne donneraient plus la vie,
ne donneraient plus jamais la vie.
Mais de grâce et de misère, le poète,
de grâce et de misère,
meurt toujours, toujours,
avant de se décourager.
Nichita Stănescu
(1933–1983)
Art poétique (Artă poetică)
Traduit du roumain par Jan H. Mysjkin
Nichita Stănescu est né le 31 mars 1933 à Ploieşti, d’une mère russe et d’un père roumain ; il meurt, peu après son cinquantième anniversaire, à Bucarest, le 13 décembre 1983. Il a été proposé à deux reprises, en 1978 et 1980, pour le prix Nobel de Littérature.
Il est l’auteur d’une vingtaine de recueils de poésie ainsi que de nombreux articles et textes en prose de caractère théorique, regroupés par lui peu avant sa mort mais publiés effectivement seulement après décembre 1989, sous le titre La Physiologie de la Poésie.
Nicolas de STAEL
Oiseaux en vol, 1951
Nicolas de STAEL
Nature morte au marteau, 1954