Avant-propos
Pendant les quatre années qui séparent son retrait du RPF (décembre 1955) et son retour au pouvoir en 1958, le général passera l'essentiel de son temps à Colombey, où il poursuit l'écriture des Mémoires de guerre.
Le premier tome paraît en octobre 1954 et le second en juin 1956 (sa fille Elisabeth de Boissieu assure la dactylographie). C'est à la fin du livre qu'il évoque Colombey dans des pages célèbres :
"Vastes, frustes et tristes horizons ; bois, prés, cultures et friches mélancoliques ; relief d'anciennes montagnes très usées et résignées ; villages tranquilles et peu fortunés, dont rien, depuis des millénaires, n'a changé l'âme, ni la place. (…) Ainsi, du mien. Situé haut sur le plateau, marqué l'une colline boisée, il passe les siècles au centre des terres que cultivent ses habitants. Ceux-ci, bien que je me garde de m'imposer au milieu d'eux, m'entourent d'une amitié discrète. Leurs familles, je les connais, je les estime et je les aime.
Le silence emplit ma maison. De la pièce d'angle où je passe la plupart des heures du jour, je découvre les lointains dans la direction du couchant. Au long de quinze kilomètres, aucune construction n'apparaît. Par-dessus la plaine et les bois, ma vue suit les longues pentes descendant vers la vallée de l'Aube, puis les hauteurs du versant opposé. D'un point élevé du jardin, j'embrasse les fonds sauvages où la forêt enveloppe le site, comme la mer bat le promontoire. Je vois la nuit couvrir le paysage. Ensuite, regardant les étoiles, je me pénètre de l'insignifiance des choses."
Charles de Gaulle
Mémoires de guerre, tome I.
Bien plus tard, un an avant sa mort, il rédige ces lignes ironiques et distanciées : « Après ma mort, on dressera une grande croix de Lorraine sur la plus haute colline, derrière ma maison. Et comme il n’y a personne par là, personne ne la verra. Elle incitera les lapins à la Résistance. »
Charles de Gaulle, 1969
La croix de Lorraine. ©Photo J.Fusier
Les choses ainsi resituées ouvrent tout naturellement sur cet article que Patrick MANDON a publié dans la presse en 2008. Nous le remercions une nouvelle fois ici pour sa grande courtoisie et la gentillesse avec laquelle il nous autorise à le publier.
De de Gaulle en général…
…et des lapins de Colombey en particulier
D’abord il y a un événement : le 11 octobre 2008, à Colombey-Les Deux-Eglises (Haute-Marne), Angela Merkel et Nicolas Sarkozy ont inauguré le Mémorial parachevant le projet dédié à Charles de Gaulle, commencé avec l’édification d’une immense Croix de Lorraine (18 juin 1972). Celle-ci n’a d’ailleurs cessé d’attirer les visiteurs, contredisant la prophétie que le Général, avec cette ironie faussement modeste qui faisait partie de son charme, aurait lancé à propos de “sa” croix, dont il ne voulait pas : “Personne ne viendra, sauf les lapins pour y faire de la résistance…”
Et puis il y a cette affiche dans le métro, pour une pièce de théâtre inspirée du journal de Jacques Foccart, le conseiller du général de Gaulle pour l’Afrique. Elle présente une étrange silhouette et un visage à peine esquissé. Et pourtant c’est Lui, c’est bien Lui, égaré dans le métro, comme tenant en laisse un pavé ! Nulle majesté dans cette représentation persifleuse. Et pourtant, malgré l’évidente volonté de désacraliser, quelque chose est pertinent dans ce personnage perplexe au milieu des pavés…
Enfin il y a un souvenir, celui de la une d’un fameux hebdomadaire satirique, Hara Kiri : “Bal tragique à Colombey, 1 mort”.
Mais les plus nobles destins résistent à la nécessité d’en rire. Non, Charles de Gaulle n’est pas décédé après une valse en compagnie d’Yvonne. Le 9 novembre 1970, il s’est effondré["Ah ! Il est déjà temps de mourir !" : les derniers mots du Général, selon le colonel Desgrées du Loû (rapportés par Jean Mauriac dans L’après de Gaulle, chez Fayard).] un peu avant l’heure du dîner, alors qu’il achevait une patience (après tant de réussites…)
Rappel pour les plus jeunes d’entre vous : le 27 avril 1969, le peuple répond non au référendum sur “le projet de loi relatif à la création des régions er à la rénovation du Sénat”. Dès le 28, Charles de Gaulle part sans se retourner… L’air, soudain, paraît plus léger à nombre de Français. Et d’abord à une partie de notre grande bourgeoisie : le vieux képi incarnait ses remords et son peu d’empressement à le rejoindre dans l’exil londonien.
Les politiciens soupirent d’aise : enfin éliminé, ce Charlot qui, en fondant la Ve République, leur avait cassé leur joujou agonisant.
Tous avaient souffert de la dédaigneuse distance qu’il mettait entre eux et lui, et du mépris de plomb qu’il affichait pour leurs misérables combinaisons. Décidément, il vivait très au-dessus de leurs moyens… Intellectuellement s’entend : il ne s’enrichira pas d’un nouveau franc au métier de la politique. Même que le soir, à l’Elysée, tante Yvonne éteignait les lumières : “Il ne faut pas gaspiller !”
Aujourd’hui, le vieil homme “recru d’épreuves” subit le pire : il paraît “dépassé”. Mais depuis quand ? Dans l’Europe du désastre qui se découvrait à mesure que refluait la catastrophe nazie, à quel sort misérable était vouée la France ? Perdue de réputation, suspecte aux yeux des vainqueurs, menacée de guerre civile, convoitée par les staliniens, elle pouvait tout au plus espérer l’humiliante intégration à un ensemble flou, “gauleité” par Giraud, béni par Jean Monnet et chapeauté par les Américains.
Enfin De Gaulle revint, avec son fichu caractère, qui est aussi la marque des hommes d’Etat au milieu des politiciens nains. Car il en fallait, du caractère, pour faire croire simultanément aux Etatsuniens que la France avait les moyens de son indépendance, et aux communistes que, grâce au parapluie américain, le pays était à l’abri d’un coup de force !
Et pour décoloniser l’Afrique noire et surtout l’Algérie, sans souci apparent de la douleur des rapatriés ni du sort des harkis, maltraités ici, massacrés là-bas ?
Mais “On ne gouverne pas innocemment”, comme disait Saint-Just… A moins que vous ne préfériez Péguy : “Ils ont les mains propres mais ils n’ont pas de mains.”
De Gaulle, c’est un drame antique et chrétien à la fois. Un récit qui naît avec le baptême de Clovis, irrigue la chevalerie, transcende la République, s’incarne dans la Résistance – et prend fin avec lui. Il a soulevé la France et étonné le monde par sa vision, son charisme et ses mots. De Gaulle c’est Merlin, plus l’électricité (nucléaire).
Au risque de passer pour un illuminé, laissez-moi, en guise de conclusion vous livrer une confidence : un matin que je me trouvais dans une clairière isolée, non loin de la croix de Lorraine, je vis nettement surgir de la brume froide le spectre du Général ! Il croisa ma route sans me voir. Plus curieux qu’effrayé, j’osai l’interpeller : “Mon Général, que vous inspirent la Marseillaise huée, le démantèlement de la République, la crise mondiale, la fonte des glaciers et la prochaine comparution d’Éric Zemmour devant la Cour raciale, euh, martiale pour atteinte au moral multiculturel de la Nation ?”
Déjà, je ne le distinguais plus qu’à peine, lorsque sa voix sourde roula jusqu’à moi : “Pour la Résistance, voyez les lapins !”
Publié le 19 décembre 2008
©Patrick Mandon
« Mémoires de guerre » (tome 3) fut infligé à ma fille en classe de terminale en..... littérature.
Cela avait fait couler à l’époque pas mal d’encre (virtuelle pour l’essentiel)....
« La littérature en phase terminale... » titrèrent certains...
http://www.lettresvolees.sitew.com/La_polemique.H.htm#La_polemique.H