18 juillet 2012
A la suite des articles que nous venons de donner sur le soixante-dixième anniversaire de la Rafle, Nuageneuf est heureux et fier de partager les poèmes qui lui sont adressés. C'est aujourd'hui un poème de Patrice que nous publions ; il vient à point nommé. Espérant que chacune et chacun trouveront plaisir à le découvrir.
A l’aube de ma soixantaine, je découvre enfin Paris. Paris des poètes et des artistes, Paris du prestige et de la gloire, Paris du petit peuple et des rois, Paris la fête, Paris l’émeute. Et puis, dans le vacarme du métro, entre Belleville et Barbès, l’Histoire me rattrape. En un éclair, le destin m’offre une scène de rue, quelques instants, anodins mais uniques. Dans la nuit noire fonce et tangue le wagon. Le souvenir des heures sombres de la déportation m’étreint. Des images défilent, les rails hurlent. Pourtant, dans cet enfer, la paix s’annonce par la grâce du sourire d’une dame et l’embarras d’un enfant.
Cette vapeur d’espoir je vous la confie,vous qui entretenez avec tant de fidélité le souvenir de la folie des hommes afin que nous puissions toujours protéger l’espoir et la fraternité.
Patrice.
Endeuxmots
L’espoir
Entre Belleville et Barbès, la rame était pleine.
Entra une petite dame, poussée et hors d’haleine.
Le gamin de Pigalle, la vit et se leva.
Elle hésita, s’assit et posa son cabas.
Dans la nuit noire fonce et tangue le wagon.
«Merci beaucoup», dit-elle, de sa voix humble et belle
Et, dans un beau sourire, «Choukran»* ajouta-t-elle.
Rachid rougit sous le regard de son copain.
Il baissa ses yeux doux. Hurlaient les roues du train.
Dans la nuit noire fonce et tangue le wagon.
Momo, le p’tit marrant, agaçait une fille.
Rachid gêné fixait le sol et la sortie.
Pourquoi une vieille portait-elle sur son poignet
Un horrible tatouage, un code secret ?
Dans la nuit noire fonce et tangue le wagon.
A l’école, plus tard, lors d’un triste anniversaire,
Il vit un très vieux film rescapé de la guerre.
Sous le regard des cameras, un petit gars
Retroussait sa manche, tendait son avant-bras.
Dans la nuit noire fonce et tangue le wagon.
L’enfant triste montrait gravé sur sa peau tendre
Le numero maudit qui finirait en cendres.
Douce dame de Belleville comment pouviez-vous
Encore aimer, sourire, être aimable avec tous ?
Dans la nuit noire fonce et tangue le wagon.
Depuis lors, Rachid a noté, pour ses vieux jours :
«A dank !»**, comme un trésor, petit baiser d’Amour.
Patrice
Endeuxmots
*= «Merci» en arabe
**= «Merci» en Yiddish, langue des Juifs d’Europe Centrale et Orientale
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On rappellera que Patrice a tenu pendant un temps un blog très sensible que l'on trouve ici.