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5 novembre 2012 1 05 /11 /novembre /2012 06:48

 

 

 

 

Jacques-DUPIN.jpg 

      Jacques DUPIN nous a quitté il y a quelques jours, le 27 octobre exactement. Il avait 85 ans. Nous avions donné ce poème fulgurant le 12 mai de cette année. Nous le publions de nouveau. Bon vent, monsieur DUPIN.

 

 

Paul Celan

 

Comme franchies la stridence, 

la grille,

et sur la dalle de nulle part

fermant les yeux –

 

la parole, de silence comblée,

résonne plus bas. Il vient

 

traversant l’essaim du désastre

faisant corps avec la nuit. 

 

 

 

Dans l’abrupte

l’étroite

gorge du jour se levant

 

mais le souffle secouru

par la neige, il se détache, là, 

comme si le souffle encore

attaquait de nouvelles parois

 

||

 

Par un détour, sa parole,

lui, le plus exposé,

 

sur cette pente, précisément cette pente,

il vient de toucher de l’ongle

une fleur qui se rétracte – et se multiplie…

 

Décorporée sa passion, à la fourche du chemin,

jusqu’à casser le sens, non la fleur,

pour un recueil de rosée

 

 

 

Un cœur dans le cœur comme une pierre

d’éboulis refroidie au soleil, 

une autre voix, du lointain

à tout autre visage accordée – 

 

pierre et voix soustraites

à jamais soustraites à la numération

des mots meurtriers.

 

||

 

Unisson de la blessure

et des plantes amères

où se noue et glisse

une cordée d’espace,

son souffle tire, le souffle du roncier – 

 

une lampe saisie de frayeur

jusqu’à nous se hisse

avec ce qu’a rompu l’incantation

balbutiante, la lumière – 

 

tire un corps de la contre-parole,

un visage lisse après l’ouragan

 

 

 

Risque de chaque mot, vrille

de chaque mot contre soi retournée,

si près de l’obscur

qu’il en touche le fil et la faille

et la voix presque de silence

sous le halètement de la chimère. 

 

Jacques Dupin

M’Introduire dans ton histoire,

 

P.O.L. 2007, pp. 159, 160 et 161.

 

 

 

 

kiefer.jpg

 

... Décorporée sa passion, à la fourche du chemin, ...     

 

 

 

 

 

Toile de Anselm KIEFER

 

*   *   *

 

 

Jacques DUPIN est né en 1927. Il vit à Paris.

 

francis-baconDUPIN-1990.jpg

 

Francis BACON

Portrait de Jacques Dupin, 1990

Collection du FNAC, dépôt au Musée de Picardie en 1992 © Hugo Maertens

 

Francis Bacon, peintre irlandais, naît le 28 octobre 1909 à Dublin de parents anglais. Il décède le 28 avril 1992 à Madrid, à la suite d'une pneumonie.



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4 novembre 2012 7 04 /11 /novembre /2012 06:24

 

 

 

Boucherie

 

Dans la boucherie ombragée

Par d’opulents morceaux de bœuf

Officie un prêtre tout veuf.

Son épouse d’ailleurs âgée

Étant morte depuis le neuf Courant,

un vendredi par chance.

Et lui, prince de la balance,

Jette bien rouges sur ce trône

Digne aloyau, rognons béjaunes

Et les grandes langues aphones

Les cervelles conjecturales

Aux florescences sous-marines

Et la tête de veau très pâle

Mais un peu plus rose aux narines.

La date du jour fiancée

Aux œillets du comptoir parmi

Les doux cressons et les pensées

De la clientèle d’ici

Sont bien présents dans ce récit.

Et quel beau ressac pour l’esprit

De ce boucher triste qui songe

Entre tous ses coups de hachoir

Au sort de la chair, de déchoir ;

Tandis que tombe un peu le soir

Et que feu la bouchère plonge

Son récent fantôme au milieu

De ces fantômes demi-dieux

Qui hantent dans la boucherie

Leurs sanglantes allégories.

 

 

NORGE 

Famines, 1950

 

 

 

Norge est né en 1898 près de Bruxelles, à Molenbeek-Saint-Jean. Il s’éteindra à Mougins (Norge est le pseudonyme de Georges Mogin. Mogin est mort à Mougins !) en 1990 .

Mais de fait, dès après la guerre, il s’installe à Saint-Paul-de-Vence où il exerce le métier d’antiquaire. Il avait épousé en 40 une peintre belge, Denise Perrier-Berche.Bien des belges s’installaient à Saint-Paul où l’on ne trouve pratiquement que des galeristes et des antiquaires. On l’a rapproché de Michaux pour la richesse et l’audace d’une langue si bien maîtrisée qu’elle peut tout se permettre, mais il s’éloigne de lui par un humour particulier, déconcertant et drôle, et une très joyeuse fantaisie. 

 

 

 

 

Carracci.jpg

 

 

Annibale CARRACCI

en français Annibal Carrache (1560 -1609)

La Boucherie 

vers 1580

 

 


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3 novembre 2012 6 03 /11 /novembre /2012 06:04

 

 

 

 

 

    Le vieil Eguchi en était venu, dans cette maison, à penser que rien n’était plus beau que le visage insensible d’une jeune femme endormie. N’était-ce pas la suprême consolation que ce monde pouvait offrir ? La plus belle femme ne saurait dans le sommeil dissimuler son âge. Un jeune visage est agréable dans le sommeil, même si la femme n’est pas une beauté. Peut-être aussi ne choisissait-on dans cette maison que des filles agréables à voir dans leur sommeil. Eguchi se contentait de contempler de tout près le petit visage, et il lui semblait que sa propre vie et ses mesquins soucis de tous les jours se dissipaient mollement. Il suffirait sans aucun doute de prendre le somnifère et de s’endormir dans cet état d’esprit pour jouir de cette nuit bénie, mais le vieillard paisiblement tenait les yeux clos et restait immobile. Cette fille déjà lui avait permis de se ressouvenir de la femme de Kôbe, et il lui semblait qu’elle devait encore lui accorder quelque autre souvenir, dont le sommeil risquait de le frustrer.

    L’intuition subite que la jeune femme de Kôbe s’était, dès le retour de son mari après deux ans d’absence, trouvée enceinte, et le sentiment que cette intuition devait de toute nécessité être conforme à la réalité, s’était imposés au vieillard qui ne parvenait plus à s’en défaire. Son aventure avec Eguchi ne pouvait, pensait-il, avoir infligé ni honte ni souillure à l’enfant porté et mis au monde par elle. Le vieillard ressentait comme une bénédiction sa grossesse et son accouchement, dès lors qu’il les tenait pour certains. En cette femme vivait et se mouvait une jeune vie. Pour lui, c’était comme si, à cet instant, on lui avait fait connaître sa propre vieillesse. Mais pourquoi cette femme s’était-elle docilement abandonnée, sans répulsion ni réticence ? Comme si le vieil Eguchi n’avait pas vécu près de soixante ans déjà. Il n’y avait chez cette femme rien de vénal, ni rien de frivole. Eguchi s’était senti avec elle moins coupable en tout cas que là, dans cette maison, étendu aux côtés de la fillette endormie d’un sommeil suspect. Jusqu’à sa façon de se hâter, le lendemain matin, fraîche et dispose, pour retourner chez elle auprès de ses petits enfants, que le vieillard avait appréciée en la regardant de son lit. La pensée qu’il se pouvait qu’elle fût pour lui sa dernière femme jeune la lui avait rendue inoubliable, mais peut-être elle non plus n’avait-elle oublié le vieil Eguchi. Sans qu’ils en eussent été profondément blessés ni l’un ni l’autre, et dussent-ils en garder le secret toute leur vie, ni l’un ni l’autre sans doute n’oublierait jamais.

    Il était étrange malgré tout que, parmi les « Belles endormies », ce fût la petite apprentie qui eût, en ce moment, suscité chez le vieillard le souvenir distinct de la femme de Kôbe.

 

 

Yasunari Kawabata, Les Belles Endormies眠れる美女

Prix Nobel de littérature en 1968

(1899-1972)

 

 

 

 

Kawabata.jpg

 

Les Belles Endormies sont disponibles en poche. Une édition luxueuse mais abordable reste disponible chez Frédéric Clément. 

 

Kawabata-2.jpg

 

 

 


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2 novembre 2012 5 02 /11 /novembre /2012 06:00

 

 

La version 4 perfectionnée...

(la version 4 est ici)

 

 

 

 

LLS-4bis.jpg

 

 

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1 novembre 2012 4 01 /11 /novembre /2012 06:58

      Rédigé mardi 30 octobre à 7h30 pour une publication le 1er novembre.

 

 

 

Ce jeudi 1er novembre, le Premier ministre israélien Netanyahu doit participer à Toulouse avec le président de la République François Hollande à une cérémonie d'hommage à l’ enseignant et les trois enfants juifs assassinés durant l'attentat perpétré le 19 mars par Mohammed Merah à l'école juive. Celle-ci a été renommée Ohr Torah" (ex-Ozar Hatorah). 

 

 

On espère que les télévisions, à titre exceptionnel, nous épargneront pour une fois les sempiternelles images qu'elles se complaisent à diffuser en boucle de cette BMW paradant en dérapage ce dès que l'affaire est évoquée, et elle l'est très souvent. La décence aurait imposé qu'on diffusât plutôt les photos des sept victimes sauvagement assassinées.

 

 

1915304_parachutistes_640x280.jpg

Maréchal des logis chef Imad Ibn-Ziaten, Abel Chennouf et Mohamed Legouad

 

 

 

 

 

 

 

Toulouse-victims-500x312.jpg

 

 

 

  Madame Eva Sandler a perdu ses enfants Aryeh , Gavriel et son époux Yonathan :
extrait d'une de ses lettres :  

 ”Puisse personne ne jamais avoir à endurer une telle détresse et une telle souffrance. À tous ceux qui souhaitent apporter la consolation à notre famille et le bien être aux âmes des défunt : perpétuons leur vie sur cette Terre. Aux parents, s’il vous plait, embrassez vos enfants. Dites-leur combien vous les aimez. ”

 

Eva SANDLER 

 

 

 

 


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1 novembre 2012 4 01 /11 /novembre /2012 06:06

 

 

 

Jeanne était au pain sec...

 

Jeanne était au pain sec dans le cabinet noir,

Pour un crime quelconque, et, manquant au devoir,

J'allai voir la proscrite en pleine forfaiture,

Et lui glissai dans l'ombre un pot de confiture

Contraire aux lois. Tous ceux sur qui, dans ma cité,

Repose le salut de la société,

S'indignèrent, et Jeanne a dit d'une voix douce :

- Je ne toucherai plus mon nez avec mon pouce ;

Je ne me ferai plus griffer par le minet.

Mais on s'est récrié : - Cette enfant vous connaît ;

Elle sait à quel point vous êtes faible et lâche.

Elle vous voit toujours rire quand on se fâche.

Pas de gouvernement possible. À chaque instant

L'ordre est troublé par vous ; le pouvoir se détend ;

Plus de règle. L'enfant n'a plus rien qui l'arrête.

Vous démolissez tout. - Et j'ai baissé la tête,

Et j'ai dit : - Je n'ai rien à répondre à cela,

J'ai tort. Oui, c'est avec ces indulgences-là

Qu'on a toujours conduit les peuples à leur perte.

Qu'on me mette au pain sec. - Vous le méritez, certes,

On vous y mettra. - Jeanne alors, dans son coin noir,

M'a dit tout bas, levant ses yeux si beaux à voir,

Pleins de l'autorité des douces créatures :

 -       Eh bien, moi, je t'irai porter des confitures.

 

 

VICTOR HUGO

L’art d’être grand-père

1877

 

 

En un autre temps, chaque soir à la télévision, vers 20h00, - eh oui ! - Jean-Marc Tennberg  récitait des poèmes... Ici,  L'art d'être grand-père :

 

 

 

 

 


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31 octobre 2012 3 31 /10 /octobre /2012 06:01

 

 

 

 

"Pas de souci !" Rien n'est plus "trendy" que la novlangue. Il n'y a plus de problème mais des "problématiques". On n'explique plus rien, on "explicite"."Voilà" !

 

 

Le french qu'on speak

(...et qu'on imprime sur papier glacé !...)

 

"Eh oui, les filles, on l’a vu sur les catwalks, c’est écrit partout et il y a même des magazines qui castent des tailles 44 pour faire leur cover. (... ) Mes sœurs de beurre, ne tombez pas dans cet énorme panneau qui veut nous faire croire que le must feel, cet été, c’est le Feel fat. Totally faux."

Voilà donc ce qu’on pouvait lire samedi dans un magazine (français) pour djeuns branchés. Relevé plus loin : "Vous pourrez frimer en tiag" et  "la country botte devient city boot"

Mais rassurez-vous ! Sur France culture, ne nous sert-on pas à répétition du FRONT monétaire international”, du gistre” ou de “l’engistrement”. Quant au déj’ner, n’en parlons même pas.

 

 

 

 

femme-entre-deux-eaux.jpg

Source (!) : Toile.

 

 

 

 


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30 octobre 2012 2 30 /10 /octobre /2012 05:40

 

 

 

 

sempe.jpg

 

 

©Jean-Jacques Sempé

 

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29 octobre 2012 1 29 /10 /octobre /2012 06:24

 

 

 

 

 

 

LLS-4

      ©Andy Riley

 

 

 

 

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28 octobre 2012 7 28 /10 /octobre /2012 06:34

 

 

 

 

Je rêvais que je dormais

 

Je rêvais que je dormais.

Naturellement, je ne me laissais pas prendre,

sachant que j’étais éveillé

jusqu’au moment où, me réveillant

je me rappelai que je dormais.

 

Naturellement, je ne me laissais pas prendre,

jusqu’au moment où m’endormant,

je me rappelai que je venais de me réveiller

d’un sommeil où je rêvais que je dormais.

 

Naturellement, je ne me laissais pas prendre,

jusqu’au moment où, perdant toute foi,

je me mis à me mordre les doigts de rage

me demandant malgré la souffrance grandissante

si je me mordais réellement les doigts

ou si seulement je rêvais que je me mordais les doigts

de ne pas savoir si j’étais éveillé ou endormi

et rêvant que j’étais désespéré de ne pas savoir

si je dormais, ou si seulement je…

et me demandant si…

 

 

Henri MICHAUX

La nuit remue 

 

 

E.Delacroix-Le-tasse.jpg

Eugène DELACROIX

Le Tasse dans la maison des fous

 

 

Torquato Tasso, connu en français sous l'appellation le Tasse (en italien, il Tasso), est un poète italien, né le 11 mars 1544 à Sorrente (région de Campanie, Italie), mort le 25 avril 1595 à Rome passé à la postérité pour son immortelle épopée, La Gerusalemme liberata (La Jérusalem délivrée, 1580), où il dépeint une version très romancée des combats qui opposèrent les Chrétiens aux Musulmans à la fin de la Première Croisade, au cours du siège de Jérusalem.
Atteint vers 30 ans d'une maladie mentale, il mourut alors que le pape allait le couronner « Roi des poètes ». Jusqu'au début du XIXe siècle, Le Tasse fut l'un des poètes les plus lus en Europe : Jean-Jacques Rousseau fut un de ses admirateurs ; il aimait lire et relire Le Tasse, dont il cite un vers dans Les Rêveries du promeneur solitaire. Auguste Comte en fit le représentant de la littérature épique moderne dans son calendrier positiviste, et Simone Weil voyait dans La Jérusalem Délivrée l'une des plus hautes expressions de l'espérance chrétienne.
 

 

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