Je rêvais que je dormais
Je rêvais que je dormais.
Naturellement, je ne me laissais pas prendre,
sachant que j’étais éveillé
jusqu’au moment où, me réveillant
je me rappelai que je dormais.
Naturellement, je ne me laissais pas prendre,
jusqu’au moment où m’endormant,
je me rappelai que je venais de me réveiller
d’un sommeil où je rêvais que je dormais.
Naturellement, je ne me laissais pas prendre,
jusqu’au moment où, perdant toute foi,
je me mis à me mordre les doigts de rage
me demandant malgré la souffrance grandissante
si je me mordais réellement les doigts
ou si seulement je rêvais que je me mordais les doigts
de ne pas savoir si j’étais éveillé ou endormi
et rêvant que j’étais désespéré de ne pas savoir
si je dormais, ou si seulement je…
et me demandant si…
Henri MICHAUX
La nuit remue
Eugène DELACROIX
Le Tasse dans la maison des fous
Torquato Tasso, connu en français sous l'appellation le Tasse (en italien, il Tasso), est un poète italien, né le 11 mars 1544 à Sorrente (région de Campanie, Italie), mort le 25 avril 1595 à Rome passé à la postérité pour son immortelle épopée, La Gerusalemme liberata (La Jérusalem délivrée, 1580), où il dépeint une version très romancée des combats qui opposèrent les Chrétiens aux Musulmans à la fin de la Première Croisade, au cours du siège de Jérusalem.
Atteint vers 30 ans d'une maladie mentale, il mourut alors que le pape allait le couronner « Roi des poètes ». Jusqu'au début du XIXe siècle, Le Tasse fut l'un des poètes les plus lus en Europe : Jean-Jacques Rousseau fut un de ses admirateurs ; il aimait lire et relire Le Tasse, dont il cite un vers dans Les Rêveries du promeneur solitaire. Auguste Comte en fit le représentant de la littérature épique moderne dans son calendrier positiviste, et Simone Weil voyait dans La Jérusalem Délivrée l'une des plus hautes expressions de l'espérance chrétienne.