ALERTE INFO (source La libre Belgique -)
Scène navrante de la discrimination ordinaire en Belgique : reconduite à la frontière d’un clandestin français par deux Flamands. Le Français avait pourtant fait un effort d’assimilation.
ALERTE INFO (source La libre Belgique -)
Scène navrante de la discrimination ordinaire en Belgique : reconduite à la frontière d’un clandestin français par deux Flamands. Le Français avait pourtant fait un effort d’assimilation.
Fin d'année
Sous des cieux faits de filasse et de suie,
D'où choit morne et longue la pluie,
Voici pourrir
Au vent tenace et monotone,
Les ors d'automne ;
Voici les ors et les pourpres mourir.
Ô vous qui frémissiez, doucement volontaires,
Là-haut, contre le ciel, tout au long du chemin,
Tristes feuilles comme des mains,
Vous gisez, noires, sur la terre.
L'heure s'épuise à composer les jours ;
L'autan comme un rôdeur, par les plaines circule ;
La vie ample et sacrée, avec des regrets sourds,
Sous un vague tombeau d'ombre et de crépuscule,
Jusques au fond du sol se tasse et se recule.
Dites, l'entendez-vous venir au son des glas,
Venir du fond des infinis là-bas,
La vieille et morne destinée ?
Celle qui jette immensément au tas
Des siècles vieux, des siècles las,
Comme un sac de bois mort, l'année.
Emile VERHAEREN
Toute La Flandre
1904-1911
À deviner
— Est-ce que c'est une chose ?
— Oui et non.
— Est-ce que c'est un être vivant ?
— Pour ainsi dire.
— Est-ce que c'est un être humain ?
— Cela en procède.
— Est-ce que cela se voit ?
— Tantôt oui, tantôt non.
— Est-ce que cela s'entend ?
— Tantôt oui, tantôt non.
— Est-ce que cela a un poids ?
— Ça peut être très lourd ou infiniment léger.
— Est-ce que c'est un récipient, un contenant ?
— C'est à la fois un contenant et un contenu.
— Est-ce que cela a une signification ?
— La plupart du temps, oui, mais cela peut aussi n'avoir aucun sens.
— C'est donc une chose bien étrange ?
— Oui, c'est la nuit en plein jour, le regard de l'aveugle, la musique des sourds, la folie du sage, l'intelligence des fous, le danger du repos, l'immobilité et le vertige, l'espace incompréhensible et le temps insoutenable, l'énigme qui se dévore elle-même, l'oiseau qui renaît de ses cendres, l'ange foudroyé, le démon sauvé, la pierre qui parle toute seule, le monument qui marche, l'éclat et l'écho qui tournent autour de la terre, le monologue de la foule, le murmure indistinct, le cri de la jouissance et celui de l'horreur, l'explosion suspendue sur nos têtes, le commencement de la fin, une éternité sans avenir, notre vie et notre déclin, notre résurrection permanente, notre torture, notre gloire, notre absence inguérissable, notre cendre jetée au vent...
— Est-ce que cela porte un nom ?
— Oui, le langage.
Jean Tardieu
Margeries
poèmes inédits 1910-1985
Gallimard, 1986, p. 297-298.
René MAGRITTE
La clé des songes, 1930
Femme et chatte
Elle jouait avec sa chatte,
Et c'était merveille de voir
La main blanche et la blanche patte
S'ébattre dans l'ombre du soir.
Elle cachait - la scélérate ! -
Sous ces mitaines de fil noir
Ses meurtriers ongles d'agate,
Coupants et clairs comme un rasoir.
L'autre aussi faisait la sucrée
Et rentrait sa griffe acérée,
Mais le diable n'y perdait rien...
Et dans le boudoir où, sonore,
Tintait son rire aérien,
Brillaient quatre points de phosphore.
Paul Verlaine
Poèmes saturniens
Caprices, 1866
1er poème de la section Caprices
Les Chats de Léonor FINI
Léonor FINI
Psyché, 1975
Léonor FINI
Photo
Marin Sorescu
(poète roumain, 1936-1996)
Shakespeare
Shakespeare a créé le monde en sept jours.
Le premier jour, il a créé le ciel, les montagnes et les
gouffres de l'âme.
Le deuxième jour, il a créé les fleuves, les mers, les océans ;
Et tous les sentiments,
Il les a donnés à Hamlet, à César, à Antoine, à Cléopâtre,
à Ophélie,
A Othello et à d'autres,
Pour qu'ils soient à eux et à leurs descendants,
Siècle après siècle.
Le troisième jour, il a appelé l'ensemble des hommes
Pour leur apprendre tous les goûts :
Goût du bonheur, de l'amour, du désespoir,
Goût de la jalousie, de la gloire, et ainsi de suite,
Jusqu'à l'épuisement des goûts.
Alors sont arrivés quelques individus de la dernière heure ;
Le créateur leur a caressé la tête avec compassion
En leur disant qu'il leur restait à devenir
Critiques littéraires
Et à contester son œuvre.
Le quatrième et le cinquième jours furent réservés au
rire
Il a lâché les clowns
Pour faire des pirouettes;
Il a distrait les rois, les empereurs
Et les autres infortunés de la terre.
Le sixième jour, il a résolu quelques problèmes
administratifs ;
Il a déclenché une tempête,
Et appris au roi Lear
A porter une couronne de paille.
Comme il ne restait de la création du monde que quelques
déchets,
Il en fit Richard III.
Le septième jour, il regarda s'il avait encore quelque
chose à accomplir.
Les directeurs de théâtre avaient couvert la terre
d'affiches ;
Shakespeare pensa qu'après tant de la labeur,
Il méritait lui aussi de voir un spectacle.
Mais, tout d'abord, parce qu'il était fatigué à l'extrême,
Il alla mourir un peu.
Une traduction d'Alain Bosquet
in Alain Bosquet.
Les cent plus beaux poèmes du monde.
Paris 1979.
Für Paul Celan
Toiles d'Anselm Kiefer et dialogue avec Paul Celan: des blocs de matière picturale composés d'une couche croûteuse, plâtreuse, faite de plis et de replis dans lesquels se cache «la fleur de cendre» (Celan), cette impalpable trace de la vie qui n'est plus.
Paul Celan est né ce jour, le 23 novembre. Il fut peut-être le plus grand poète de langue allemande de l’après-guerre. Né en Roumanie dans une famille juive, il composa une oeuvre où la Shoah tient une place prépondérante.
Dein Haus ritt die finstere Welle, doch barg es ein Rosengeschlecht
Als Arche verliess es die Strasse, so wardst du gerettet ins Unheil.
Ta maison a chevauché la vague ténébreuse, mais elle cachait un lignage de roses
Arche, elle a quitté la route, ainsi fus-tu sauvé, emmené au malheur.
Honorer l’anniversaire de Paul Celan, né un 23 novembre, représente une impérieuse nécessité. En mémoire des tragédies du XXe siècle, dont le poète fut le témoin et la victime. Comme acte de révolte aussi, face aux barbaries qui s’installent de plus belle sous nos yeux.
Dans la tradition juive, l’être humain se définit par ses relations avec les autres, une vie se mesurant ainsi à l’aune d’une autre vie. Paul Celan a remplacé le vide que les absents assassinés ont laissé par des poèmes écrits au sang noir. Puis, il s’est noyé dans son époque (Il se donne la mort à Paris en se jetant dans la Seine le 20 avril 1970). La nôtre peut se retrouver dans Celan.
L’oeuvre de Celan – majeure s’il en est – demeure une leçon de dignité autant que d’esthétique, tant il est vrai qu’il existe une éthique de l’esthétique.
Une grande dame
Belle "à damner les saints", à troubler sous l'aumusse
Un vieux juge ! Elle marche impérialement.
Elle parle - et ses dents font un miroitement -
Il s'appelle 11 novembre
Il faut aller à Ypres
Il faut essayer de nommer les morts touslesmorts
Il faut réchauffer les morts de dix-huit ans
Il faut réchauffer mon arrière-grand-père qui n'a jamais eu mon âge
Il faut lire les plaques les croix et nommer encore nommer
Il faut croiser les centenaires avec l'accent écossais et le coquelicot en papier à la boutonnière
Il faut se promener à Vimy, sur la crête au-dessus du bassin minier dans la brume bleue et dorée
Un arbre pour un mort une forêt un mémorial immense et les noms les noms gravés encore les noms les noms des morts
Il faut que les larmes montent aux yeux pour la dernière relève
Nommer pour réchauffer nommer dans le bleu et l'or du ciel d'Artois du ciel des Flandres
Nommer les morts tous les morts
Jérôme LEROY
...nommer dans le bleu et l'or du ciel d'Artois...
Le parc mémorial canadien de Vimy
Le Général de Gaulle s'est éteint le 9 novembre 1970.
"Puisque tout recommence toujours, ce que j'ai fait sera,
tôt ou tard, source d'ardeurs nouvelles,
après que j'aurai disparu."
Charles de Gaulle in Mémoires de guerre, tome 3.
Dessin de Jacques FAIZANT. Le Figaro. 10 novembre 1970.
Le magnifique hommage de Jacques Faizant représente Marianne pleurant ou priant sur le tronc d'un chêne abattu. L'ombre de Victor HUGO est présente et évoque ce vers dans Toute le lyre où se trouve l'éloge de HUGO à Théophile GAUTIER :
(...) Oh ! Quel farouche bruit font dans le crépuscule
Les chênes qu'on abat pour le bûcher d'Hercule ! (...)
Les chênes qu'on abat donnera également à André Malraux le titre de son livre paru dès après la mort du Général, en 1971. Ce livre retrace le long dialogue que le Général eut avec Malraux.
Un char EBR Panhard transporte le cercueil du Général depuis
La Boisserie jusqu'à l'église de Colombey.
Notre affaire se noue dans une classe de 6 ème, au début du deuxième trimestre de l’année scolaire écoulée, c’est-à-dire en janvier ou février. Le professeur de français propose à ses jeunes élèves de choisir, parmi trois, un poème à apprendre par coeur :
- Soit le très classique Le Loup et l’agneau de Jean de La Fontaine,
- Soit le surprenant La Coquette et l’abeille de Jean-Pierre Claris de Florian, poète injustement tombé dans l’oubli,
- Soit le déroutant mais drolatique poème de Queneau, La Cimaise et la fraction !
On nous a confié que la majorité choisit tout naturellement La Fontaine. Seuls trois élèves optèrent pour La Cimaise… Le choix des trois élèves (notre confidente en fit partie) interloque mais nous réjouit. Choisir par goût ce poème est ambitieux. Quant à l’apprendre par coeur, voilà qui relève de la gageure! Et pourtant, c’est ainsi. Il s’entend que le professeur prit soin d’expliquer le mouvement OULIPO et la méthode S+7.
Mieux encore : la jeune élève et confidente à qui nous demandâmes si elle pouvait encore le réciter six mois plus tard (c’était en juillet) nous le donna sans hésitation !
Voici, pour information, le délicat poème de Florian :
La Coquette et l'abeille
Chloé, jeune, jolie, et surtout fort coquette,
Tous les matins, en se levant,
Se mettait au travail, j'entends à sa toilette ;
Et là, souriant, minaudant,
Elle disait à son cher confident
Les peines, les plaisirs, les projets de son âme.
Une abeille étourdie arrive en bourdonnant.
Au secours ! Au secours ! Crie aussitôt la dame :
Venez, Lise, Marton, accourez promptement ;
Chassez ce monstre ailé. Le monstre insolemment
Aux lèvres de Chloé se pose.
Chloé s'évanouit, et Marton en fureur
Saisit l'abeille et se dispose
A l'écraser. Hélas ! Lui dit avec douceur
L'insecte malheureux, pardonnez mon erreur ;
La bouche de Chloé me semblait une rose,
Et j'ai cru... ce seul mot à Chloé rend ses sens.
Faisons grâce, dit-elle, à son aveu sincère :
D'ailleurs sa piqûre est légère ;
Depuis qu'elle te parle, à peine je la sens.
Que ne fait-on passer avec un peu d'encens !
Jean-Pierre Claris de FLORIAN (1755-1794)
Pour ceux qui n’étaient pas en cours de sixième en janvier (!), voici quelques éléments
succincts : Raymond Queneau et son ami mathématicien François Le Lionnais créent en 1960 l’Oulipo : « OUvroir de LIttérature POtentielle ». C’est un « atelier » de littérature expérimentale. Par exemple, l’une des contraintes de la langue que s’imposent les membres de l’Oulipo obéit à la méthode S+7. Cette dernière consiste à remplacer chaque mot (substantif, soit S) d’un texte déjà existant par le septième mot qui suit dans le dictionnaire. C’est en partant du S+7 que Raymond Queneau, en 1973, aboutit à une parodie de La Cigale et la fourmi qui mathématiquement donne le poème qui suit :
La cimaise et la fraction
La cimaise ayant chaponné
Tout l’éternueur
Se tuba fort d’épurative
Quand la bixacée fut verdie :
Pas un sexué pétrographique morio
De moufette ou de verrat.
Elle alla crocher fange
Chez la fraction sa volcanique
La processionnant de lui primer
Quelque gramen pour succomber
Jusqu’à la salanque nucléaire.
« Je vous peinerai, lui discorda-t-elle
Avant l’apanage, folâtrerie d’Annamite !
Interlocutoire et priodonte. »
La fraction n’est pas prévisible :
C’est là son moléculaire défi.
« Que ferriez-vous au tendon cher ?
Discorda-t-elle à cette énarthrose.
-Nuncupation et joyau à tout vendeur,
Je chaponnais, ne vous déploie.
-Vous chaponniez ? J’en suis fort alarmante.
Eh bien ! débagoulez maintenant. »
Raymond QUENEAU
Note 1 : A relire éventuellement de Queneau La fourmi et la cigale ou quelques autres poèmes.
Note 2 : Dans le même ordre de pensée, Georges Perec, quant à lui, exécutera un incroyable tour de force en écrivant, en 1969, La Disparition, texte où la voyelle « e » est bannie, puis Les Revenentes (1972), où la seule voyelle admise est le « e » !...