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23 août 2014 6 23 /08 /août /2014 10:49

 

 

 

 

NUAGENEUF FABRIC

 

 

 

 

L'air en conserve

 

 

Dans une boîte, je rapporte

Un peu de l'air de mes vacances

Que j'ai enfermé par prudence.

Je l'ouvre ! Fermez bien la porte

 

Respirez à fond ! Quelle force !

La campagne en ma boîte enclose

Nous redonne l'odeur des roses,

Le parfum puissant des écorces,

 

Les arômes de la forêt...

Mais couvrez vous bien, je vous prie,

Car la boîte est presque finie :

C'est que le fond de l'air est frais.

 

 

 

Jacques CHARPENTREAU

 

 

 

Jacques-Charpentreau.jpg

JACQUES CHARPENTREAU est né en 1928 aux Sables d'Olonne. Ecrivain et poète, il fut instituteur puis professeur de français à Paris. Son œuvre compte une trentaine de recueils de poésie, des contes, des nouvelles, des essais et des dictionnaires.

 

 

 

A propos de l’enseignement de la poésie à l’école primaire,

Jacques Charpentreau parle d'or :


« A l'école primaire il ne faut pas étudier la poésie, mais la connaître et l'aimer. Il faut transmettre une émotion aux élèves. L'étude viendra plus tard, qu'on la laisse aux gens du supérieur. Pour savoir lire l'heure, il n'est pas nécessaire de démonter la montre. La poésie est toujours de l'ordre de l'émotion. Savoir comment c'est fait viendra peu à peu, au collège, au lycée, au supérieur. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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17 août 2014 7 17 /08 /août /2014 11:15

 

 

Je sais maintenant que je ne possède rien

 


Je sais maintenant que je ne possède rien

pas même ce bel or qui est feuilles pourries

Encore moins ces jours volant d’hier à demain

à grands coups d’ailes vers une heureuse patrie

 

Elle fut avec eux, l’émigrante fanée

la beauté faible, avec ses secrets décevants

vêtue de brume. On l’aura sans doute emmenée

ailleurs, par ces forêts pluvieuses. Comme avant

 

je me retrouve au seuil d’un hiver irréel

où chante le bouvreuil obstiné, seul appel

qui ne cesse pas, comme le lierre. Mais qui peut dire

 

quel est son sens ? Je vois ma santé se réduire

pareille à ce feu bref au-devant du brouillard

qu’un vent glacial avive, efface. Il se fait tard.

 

Philippe Jaccottet 

L’effraie (1946-1950)

 

 

 

 

 

Gericault

 

Je sais maintenant que je ne possède rien...

 

Illustration : THEODORE GERICAULT (1791-1824)  Académie d'homme nu couché 

 

 


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28 juin 2014 6 28 /06 /juin /2014 05:04

 

 

 

 

 

 

A.M.V.H.

 

Il faut, dans ce bas monde, aimer beaucoup de choses,

Pour savoir, après tout, ce qu’on aime le mieux,

Les bonbons, l’Océan, le jeu, l’azur des cieux,

Les femmes, les chevaux, les lauriers et les roses.

Il faut fouler aux pieds des fleurs à peine écloses ;

Il faut beaucoup pleurer, dire beaucoup d’adieux.

Puis le coeur s’aperçoit qu’il est devenu vieux,

Et l’effet qui s’en va nous découvre les causes.

De ces biens passagers que l’on goûte à demi,

Le meilleur qui nous reste est un ancien ami.

On se brouille, on se fuit. Qu’un hasard nous rassemble,

On s’approche, on sourit, la main touche la main,

Et nous nous souvenons que nous marchions ensemble,

Que l’âme est immortelle, et qu’hier c’est demain.

 

 

 

Alfred de Musset

 

 

 

                    A.M.V.H. ? à monsieur Vinctor Hugo ? ... Nous n'avons aucune assurance sur la signification exacte du titre de Musset.

 

                     Nous restons en l'attente de vos éclaircissements

 

 


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22 juin 2014 7 22 /06 /juin /2014 05:09

medium_jacques_prevert_merode.jpg

 

 Le magasin Mérode. Photo de R.Doisneau©. 1953

 

 

Combien sont entrés en poésie en ouvrant Prévert comme une caverne qui nous laisse baba ? Le poème choisi est long et sans doute difficilement lisible sur écran. Ce n’est pas une raison pour ne pas le publier, son actualité est déconcertante.

 

 

 

 

 

TENTATIVE   DE   DESCRIPTION

D’UN   DÎNER   DE   TÊTES

A   PARIS-FRANCE

 

 

Ceux qui pieusement...

 

Ceux qui copieusement...

 

Ceux qui tricolorent

 

Ceux qui inaugurent

 

Ceux qui croient

 

Ceux qui croient croire

 

Ceux qui croa-croa

 

Ceux qui ont des plumes

 

Ceux qui grignotent

 

Ceux qui andromaquent

 

Ceux qui dreadnoughtent

 

Ceux qui majusculent

 

Ceux qui chantent en mesure

 

Ceux qui brossent à reluire

 

Ceux qui ont du ventre

 

Ceux qui baissent les yeux

 

Ceux qui savent découper le poulet

 

Ceux qui sont chauves à l'intérieur de la tête

 

Ceux qui bénissent les meutes

 

Ceux qui font les honneurs du pied

 

Ceux qui debout les morts

 

Ceux qui baïonnette... on

 

Ceux qui donnent des canons aux enfants

 

Ceux qui donnent des enfants aux canons

 

Ceux qui flottent et ne sombrent pas

 

Ceux qui ne prennent pas le Pirée pour un homme

 

Ceux que leurs ailes de géants empêchent de voler

 

Ceux qui plantent en rêve des tessons de bouteille sur la grande muraille de Chine

 

Ceux qui mettent un loup sur leur visage quand ils mangent du mouton

 

Ceux qui volent des neufs et qui n'osent pas les faire cuire

 

Ceux qui ont quatre mille huit cent dix mètres de Mont Blanc, trois cents de Tour Eiffel, vingt-cinq centimètres de tour de poitrine et qui en sont fiers

 

Ceux qui mamellent de la France

 

Ceux qui courent, volent et nous vengent, tous ceux-là, et beaucoup d'autres entraient fièrement à l'Élysée en faisant craquer les graviers, tous ceux-là se bousculaient, se dépêchaient, car il y avait un grand dîner de têtes et chacun s'était fait celle qu'il voulait.

 

L'un une tête de pipe en terre, l'autre une tête d'amiral anglais, il y en avait avec des têtes de boule puante, des têtes de galliffet, des têtes d'animaux malades de la tête, des têtes d'Auguste Comte, des têtes de Rouget de Lisle, des têtes de Sainte Thérèse, des têtes de fromage de tête, des têtes de pied, des têtes de monseigneur et des têtes de crémier.

 

Quelques-uns, pour faire rire le monde, portaient sur leurs épaules de charmants visages de veaux, et ces visages étaient si beaux et si tristes, avec les petites herbes vertes dans le creux des oreilles comme le goémon dans le creux des rochers, que personne ne les remarquait.

 

Une mère à tête de morte montrait en riant sa fille à tête d'orpheline au vieux diplomate ami de la famille qui s'était fait la tête de Soleilland.

 

C'était véritablement délicieusement charmant et d'un goût si sûr que lorsque arriva le Président avec une somptueuse tête d'œuf de Colomb ce fut du délire.

 

"C'était simple, mais il fallait y penser", dit le Président en dépliant sa serviette et devant tant de malice et de simplicité les invités ne peuvent maîtriser leur émotion ; à travers des yeux cartonnés de crocodile un gros industriel verse de véritables larmes de joie, un plus petit mordille la table, de jolies femmes se frottent les seins très doucement et l'amiral, emporté par son enthousiasme, boit sa flûte de champagne par le mauvais côté, croque le pied de la flûte et, l'intestin perforé, meurt debout, cramponné au bastingage de sa chaise en criant : "Les enfants d'abord."

 

Étrange hasard, la femme du naufragé, sur les conseils de sa bonne, s'était, le matin même, confectionné une étonnante tête de veuve de guerre, avec les deux grands plis d'amertume de chaque côté de la bouche, et les deux petites poches de la douleur, grises sous les yeux bleus.

 

Dressée sur sa chaise, elle interpelle le président et réclame à grands cris l'allocation militaire et le droit de porter sur sa robe du soir le sextant du défunt en sautoir.

 

Un peu calmée elle laisse ensuite son regard de femme seule errer sur la table et voyant parmi les hors-d'œuvre des filets de harengs, elle en prend machinalement en sanglotant, puis en reprend, pensant à l'amiral qui n'en mangeait pas si souvent de son vivant et qui pourtant les aimait tant. Stop. C'est le chef du protocole qui dit qu'il faut s'arrêter de manger, car le président va parler.

 

Le président s'est levé, il a brisé le sommet de sa coquille avec son couteau pour avoir moins chaud, un tout petit peu moins chaud.

 

Il parle et le silence est tel qu'on entend les mouches voler et qu'on les entend si distinctement voler qu'on n'entend plus du tout le président parler, et c'est bien regrettable parce qu'il parle des mouches, précisément, et de leur incontestable utilité dans tous les domaines et dans le domaine colonial en particulier.

 

"...car sans les mouches, pas de chasse-mouches, sans chasse-mouches pas de Dey d'Alger, pas de consul... pas d'affront à venger, pas d'oliviers, pas d'Algérie, pas de grandes chaleurs, messieurs, et les grandes chaleurs, c'est la santé des voyageurs, d'ailleurs..."

 

Mais quand les mouches s'ennuient elles meurent, et toutes ces histoires d'autrefois, toutes ces statistiques les emplissant d'une profonde tristesse, elles commencent par lâcher une patte du plafond, puis l'autre, et tombent comme des mouches, dans les assiettes... sur les plastrons, mortes comme le dit la chanson.

 

"La plus noble conquête de l'homme, c'est le cheval, dit le président, et s'il n'en reste qu'un, je serai celui-là."

 

C'est la fin du discours ; comme une orange abîmée lancée très fort contre un mur par un gamin mal élevé, la MARSEILLAISE éclate et tous les spectateurs, éclaboussés par le vert-de-gris et les cuivres, se dressent congestionnés, ivres d'Histoire de France et de Pontet-Canet.

 

Tous sont debout, sauf l'homme à tête de Rouget de Lisle qui croit que c'est arrivé et qui trouve qu'après tout ce n'est pas si mal exécuté et puis, peu à peu, la musique s'est calmée et la mère à tête de morte en a profité pour pousser sa petite fille à tête d'orpheline du côté du président.

 

Les fleurs à la main, l'enfant commence son compliment "Monsieur le Président..." mais l'émotion, la chaleur, les mouches, voilà qu'elle chancelle et qu'elle tombe le visage dans les fleurs, les dents serrées comme un sécateur.

 

L'homme à tête de bandage herniaire et l'homme à tête de phlegmon se précipitent, et la petite est enlevée, autopsiée et reniée par sa mère, qui, trouvant sur le carnet de bal de l'enfant des dessins obscènes comme on n'en voit pas souvent, n'ose penser que c'est le diplomate ami de la famille et dont dépend la situation du père qui s'est amusé si légèrement.

 

Cachant le carnet dans sa robe, elle se pique le sein avec le petit crayon blanc et pousse un long hurlement, et sa douleur fait peine à voir à ceux qui pensent qu'assurément voilà bien là la douleur d'une mère qui vient de perdre son enfant.

 

Fière d'être regardée, elle se laisse aller, elle se laisse écouter, elle gémit, elle chante

 

"Où donc est-elle ma petite fille chérie, où donc est-elle ma petite Barbara qui donnait de l'herbe aux lapins et des lapins aux cobras !"

 

Mais le président, qui sans doute n'en est pas à son premier enfant perdu, fait un signe de la main et la fête continue.

 

Et ceux qui étaient venus pour vendre du charbon et du blé vendent du charbon et du blé et de grandes îles entourées d'eau de tous côtés, de grandes îles avec des arbres à pneus et des pianos métalliques bien stylés pour qu'on n'entende pas trop les cris des indigènes autour des plantations quand les colons facétieux essaient après dîner leur carabine à répétition.

 

Un oiseau sur l'épaule, un autre au fond du pantalon pour le faire rôtir, l'oiseau, un peu plus tard à la maison, les poètes vont et viennent dans tous les salons.

 

"C'est, dit l'un d'eux, réellement très réussi", mais dans un nuage de magnésium le chef du protocole est pris en flagrant délit, remuant une tasse de chocolat glacé avec une cuiller à café.

 

"Il n'y a pas de cuiller spéciale pour le chocolat glacé, c'est insensé, dit le préfet, on aurait dû y penser, le dentiste a bien son davier, le papier son coupe-papier et les radis roses leurs raviers."

 

Mais soudain tous de trembler car un homme avec une tête d'homme est entré, un homme que personne n'avait invité et qui pose doucement sur la table la tête de Louis XVI dans un panier.

 

C'est vraiment la grande horreur, les dents, les vieillards et les portes claquent de peur.

 

"Nous sommes perdus, nous avons décapité un serrurier", hurlent en glissant sur la rampe d'escalier les bourgeois de Calais dans leur chemise grise comme le cap Gris-Nez.

 

La grande horreur, le tumulte, le malaise, la fin des haricots, l'état de siège et dehors en grande tenue les mains noires sous les gants blancs, le factionnaire qui voit dans les ruisseaux du sang et sur sa tunique une punaise pense que ça va mal et qu'il faut s'en aller s'il en est encore temps.

 

"J'aurais voulu, dit l'homme en souriant, vous apporter aussi les restes de la famille impériale qui repose, paraît-il, au caveau Caucasien rue Pigalle, mais les Cosaques qui pleurent, dansent et vendent à boire veillent jalousement leurs morts.

 

"On ne peut pas tout avoir, je ne suis pas Ruy Blas, je ne suis pas Cagliostro, je n'ai pas la boule de verre, je n'ai pas le marc de café. Je n'ai pas la barbe en ouate de ceux qui prophétisent. J'aime beaucoup rire en société, je parle ici pour les grabataires, je monologue pour les débardeurs, je phonographe pour les splendides idiots des boulevards extérieurs et c'est tout à fait par hasard si je vous rends visite dans votre petit intérieur.

 

"Premier qui dit : "Et ta sœur", est un homme mort. Personne ne le dit, il a tort, c'était pour rire.

 

"Il faut bien rire un peu et si vous vouliez, je vous emmènerais visiter la ville mais vous avez peur des voyages, vous savez ce que vous savez et que la Tour de Pise est penchée et que le vertige vous prend quand vous vous penchez vous aussi à la terrasse des cafés.

 

"Et pourtant vous vous seriez bien amusés, comme le président quand il descend dans la mine, comme Rodolphe au tapis-franc quand il va voir le chourineur comme lorsque vous étiez enfant et qu'on vous emmenait au jardin des Plantes voir le grand tamanoir.

 

"Vous auriez pu voir les truands sans cour des miracles, les lépreux sans cliquette et les hommes sans chemise couchés sur les bancs, couchés pour un instant, car c'est défendu de rester là un peu longtemps.

 

"Vous auriez vu les hommes dans les asiles de nuit faire le signe de la croix pour avoir un lit, et les familles de huit enfants "qui crèchent à huit dans une chambre" et si vous aviez• été sages vous auriez eu la chance et le plaisir de voir le père qui se lève parce qu'il a sa crise, la mère qui meurt doucement sur son dernier enfant, le reste de la famille qui s'enfuit en courant et qui pour échapper à sa misère tente de se frayer un chemin dans le sang.

 

"Il faut voir, vous dis-je, c'est passionnant, il faut voir à l'heure où le bon Pasteur conduit ses brebis à la Villette, à l'heure où le fils de famille jette avec un bruit mou sa gourme sur le trottoir, à l'heure où les enfants qui s'ennuient changent de lit dans leur dortoir, il faut voir l'homme couché dans son lit-cage à l'heure où son réveil va sonner.

 

"Regardez-le, écoutez-le ronfler, il rêve, il rêve qu'il part en voyage, rêve que tout va bien, rêve qu'il a un coin, mais l'aiguille du réveil rencontre celle du train et l'homme levé plonge la tête dans la cuvette d'eau glacée si c'est l'hiver, fétide si c'est l'été.

 

"Regardez-le se dépêcher, boire son café-crème, entrer à l'usine, travailler, mais il n'est pas encore réveillé, le réveil n'a pas sonné assez fort, le café n'était pas assez fort, il rêve encore, rêve qu'il est en voyage, rêve qu'il a un coin, se penche par la portière et tombe dans un jardin, tombe dans un cimetière, se réveille et crie comme une bête, deux doigts lui manquent, la machine l'a mordu, il n'était pas là pour rêver et comme vous pensez ça devait arriver.

 

"Vous pensez même que ça n'arrive pas souvent et qu'une hirondelle ne fait pas le printemps, vous pensez qu'un tremblement de terre en Nouvelle-Guinée n'empêche pas la vigne de pousser en France, les fromages de se faire et la terre de tourner.

 

"Mais je ne vous ai pas demandé de penser ; je vous ai dit de regarder, d'écouter, pour vous habituer, pour n'être pas surpris d'entendre craquer vos billards le jour où les vrais éléphants viendront reprendre leur ivoire.

 

"Car cette tête si peu vivante que vous remuez sous le carton mort, cette tête blême sous le carton drôle, cette tête avec toutes ses rides, toutes ses grimaces instruites, un jour vous la hocherez avec un air détaché du tronc et quand elle tombera dans la sciure vous ne direz ni oui ni non.

 

"Et si ce n'est pas vous ce sera quelques-uns des vôtres, car vous connaissez les fables avec vos bergers et vos chiens, et ce n'est pas la vaisselle cérébrale qui vous manque.

 

"Je plaisante, mais vous savez, comme dit l'autre, un rien suffit à changer le cours des choses. Un peu de fulmi-coton dans l'oreille d'un monarque malade et le monarque explose. La reine accourt à son chevet. Il n'y a pas de chevet. Il n'y a plus de palais. Tout est plutôt ruine et deuil. La reine sent sa raison sombrer. Pour la réconforter, un inconnu avec un bon sourire, lui donne le mauvais café. La reine en prend, la reine en meurt et les valets collent des étiquettes sur les bagages des enfants. L'homme au bon sourire revient, ouvre la plus grande malle, pousse les petits princes dedans, met le cadenas à la malle, la malle à la consigne et se retire en se frottant les mains.

 

"Et quand je dis, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs : "le Roi, la Reine, les petits princes", c'est pour envelopper les choses, car on ne peut pas raisonnablement blâmer les régicides qui n'ont pas de roi sous la main, s'ils exercent parfois leurs dons dans leur entourage immédiat.

 

"Particulièrement parmi ceux qui pensent qu'une poignée de riz suffit à nourrir toute une famille de Chinois pendant de longues années.

 

"Parmi celles qui ricanent dans les expositions parce qu'une femme noire porte dans son dos un enfant noir et qui portent depuis six ou sept mois dans leur ventre blanc un enfant blanc et mort.

 

"Parmi les trente mille personnes raisonnables composées d'une âme et d'un corps, qui défilèrent le Six Mars à Bruxelles, musique militaire en tête, devant le monument élevé au Pigeon-Soldat et parmi celles qui défileront demain à Brive-la-Gaillarde, à Rosa-la-Rose ou à Carpa-la Juive devant le monument du jeune et veau marin qui périt à la guerre comme tout un chacun."

 

Mais une carafe lancée de loin par un colombophile indigné touche en plein front l'homme qui racontait comment il aimait rire. Il tombe, le Pigeon-Soldat est vengé. Les cartonnés officiels écrasent la tête de l'homme à coups de pied et la jeune fille qui trempe en souvenir le bout de son ombrelle dans le sang éclate d'un petit rire charmant, la musique reprend.

 

La tête de l'homme est rouge comme une tomate trop rouge, au bout d'un nerf un œil pend, mais sur le visage démoli, l'œil vivant, le gauche, brille comme une lanterne sur des ruines.

 

"Emportez-le", dit le Président, et l'homme couché sur une civière et le visage caché par une pèlerine d'agent sort de l'Élysée horizontalement, un homme derrière lui, un autre devant.

 

"Il faut bien rire un peu", dit-il au factionnaire et le factionnaire le regarde passer avec ce regard figé qu'ont parfois les bons vivants devant les mauvais.

 

Découpée dans le rideau de fer de la pharmacie une étoile de lumière brille et comme des rois mages en mal d'enfant jésus, les garçons bouchers, les marchands d'édredons et tous les hommes de cœur contemplent l'étoile qui leur dit que l'homme est à l'intérieur, qu'il n'est pas tout à fait mort, qu'on est en train peut-être de le soigner et tous attendent qu'il sorte avec l'espoir de l'achever.

 

Ils attendent, et bientôt, à quatre pattes à cause de la trop petite ouverture du rideau de fer, le juge d'instruction pénètre dans la boutique, le pharmacien l'aide à se relever et lui montre l'homme mort, la tête appuyée sur le pèse-bébé.

 

Et le juge se demande, et le pharmacien regarde le juge se demander si ce n'est pas le même homme qui jeta des confettis sur le corbillard du maréchal et qui jadis, plaça la machine infernale sur le chemin du petit caporal.

 

Et puis ils parlent de leurs petites affaires, de leurs enfants, de leurs bronches ; le jour se lève, on tire les rideaux chez le Président.

 

Dehors, c'est le printemps, les animaux, les fleurs, dans les bois de Clamart on entend les clameurs des enfants qui se marrent, c'est le printemps, l'aiguille s'affole dans sa boussole, le binocard entre au bocard et la grande dolichocéphale sur son sofa s'affale et fait la folle.

 

Il fait chaud. Amoureuses les allumettes tisons se vautrent sur leur frottoir, c'est le printemps, l'acné des collégiens et voilà la fille du sultan et le dompteur de mandragores, voilà les pélicans, les fleurs sur les balcons, voilà les arrosoirs, c'est la belle saison.

 

Le soleil brille pour tout le monde, il ne brille pas dans les prisons, il ne brille pas pour ceux qui travaillent dans la mine,

 

ceux qui écaillent le poisson

 

ceux qui mangent la mauvaise viande

 

ceux qui fabriquent les épingles à cheveux

 

ceux qui soufflent vides les bouteilles que d'autres boiront pleines

 

ceux qui coupent le pain avec leur couteau ceux qui passent leurs vacances dans les usines ceux qui ne savent pas ce qu'il faut dire

 

ceux qui traient les vaches et ne boivent pas le lait ceux qu'on n'endort pas chez le dentiste ceux qui crachent leurs poumons dans le métro

 

ceux qui fabriquent dans les caves les Stylos avec lesquels d'autres écriront en plein air que tout va pour le mieux

 

ceux qui en ont trop à dire pour pouvoir le dire ceux qui ont du travail

 

ceux qui n'en ont pas ceux qui en cherchent

 

ceux qui n'en cherchent pas

 

ceux qui donnent à boire aux chevaux ceux qui regardent leur chien mourir

 

ceux qui ont le pain quotidien relativement hebdomadaire

 

ceux qui l'hiver se chauffent dans les églises ceux que le suisse envoie se chauffer dehors ceux qui croupissent

 

ceux qui voudraient manger pour vivre ceux qui voyagent sous les roues ceux qui regardent la Seine couler

 

ceux qu'on engage, qu'on remercie, qu'on augmente, qu'on diminue, qu'on manipule, qu'on fouille, qu'on assomme

 

ceux dont on prend les empreintes

 

ceux qu'on fait sortir des rangs au hasard et qu'on fusille ceux qu'on fait défiler devant l'arc ceux qui ne savent pas se tenir dans le monde entier

 

ceux qui n'ont jamais vu la mer

 

ceux qui sentent le lin parce qu'ils travaillent le lin ceux qui n'ont pas l'eau courante ceux qui sont voués au bleu horizon

 

ceux qui jettent le sel sur la neige moyennant un salaire absolument dérisoire

 

ceux qui vieillissent plus vite que les autres

 

ceux qui ne se sont pas baissés pour ramasser l'épingle ceux qui crèvent d'ennui le dimanche après-midi parce qu'ils voient venir le lundi et le mardi, et le mercredi, et le jeudi, et le vendredi, et le samedi et le dimanche après-midi.

 

 

Jacques PREVERT

Paroles, 

1931

 

 


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18 juin 2014 3 18 /06 /juin /2014 11:17

 

 

 

 

 

 

De-Gaulle--19444.jpg

 

 

 

 

 

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18 juin 2014 3 18 /06 /juin /2014 05:00

 

 

 

Moretti.degaulle1.jpg

©Moretti 

 

 

 

 

      18 juin 1940

 

 

mercredi 18 juin 2014

Journée nationale commémorative de l'appel historique du général de Gaulle à refuser la défaite et à poursuivre le combat contre l'ennemi.


Appel-du-general-de-Gaulle-a-la-resistance-de-tous-les-Fran.jpg

 

 

L'appel à la Résistance

lancé par le général de Gaulle

depuis Londres

 


Le 18 juin 1940, le général de Gaulle prononce depuis Londres, sur les ondes de la BBC, un appel à la résistance invitant les Français à refuser la capitulation, à résister et à combattre. L'allocution n'a pas été enregistrée mais le texte demeure.

 

panneauDeLaLegion.jpg

 

 

"Les chefs qui, depuis de nombreuses années, sont à la tête des armées françaises, ont formé un gouvernement.

 

Ce gouvernement, alléguant la défaite de nos armées, s'est mis en rapport avec l'ennemi pour cesser le combat.

 

Certes, nous avons été, nous sommes, submergés par la force mécanique, terrestre et aérienne, de l'ennemi.

 

Infiniment plus que leur nombre, ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui nous font reculer. Ce sont les chars, les avions, la tactique des Allemands qui ont surpris nos chefs au point de les amener là où ils en sont aujourd'hui.

 

Mais le dernier mot est-il dit ? L'espérance doit-elle disparaître ? La défaite est-elle définitive ? Non !

 

Croyez-moi, moi qui vous parle en connaissance de cause et vous dis que rien n'est perdu pour la France. Les mêmes moyens qui nous ont vaincus peuvent faire venir un jour la victoire.

 

Car la France n'est pas seule ! Elle n'est pas seule ! Elle n'est pas seule ! Elle a un vaste Empire derrière elle. Elle peut faire bloc avec l'Empire britannique qui tient la mer et continue la lutte. Elle peut, comme l'Angleterre, utiliser sans limites l'immense industrie des Etats-Unis.

 

Cette guerre n'est pas limitée au territoire malheureux de notre pays. Cette guerre n'est pas tranchée par la bataille de France. Cette guerre est une guerre mondiale. Toutes les fautes, tous les retards, toutes les souffrances, n'empêchent pas qu'il y a, dans l'univers, tous les moyens nécessaires pour écraser un jour nos ennemis. Foudroyés aujourd'hui par la force mécanique, nous pourrons vaincre dans l'avenir par une force mécanique supérieure. Le destin du monde est là.

 

Moi, Général de Gaulle, actuellement à Londres, j'invite les officiers et les soldats français qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s'y trouver, avec leurs armes ou sans leurs armes, j'invite les ingénieurs et les ouvriers spécialistes des industries d'armement qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s'y trouver, à se mettre en rapport avec moi.

 

Quoi qu'il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s'éteindre et ne s'éteindra pas.

 

Demain, comme aujourd'hui, je parlerai à la Radio de Londres."

 

 

Appel-du-18-juin-40.jpg

 

Le Général de Gaulle au micro de la B.B.C. à Londres   

 

 

 

 

 

 

 

Le véritable appel du 18 juin n'a pas été enregistré. Il n'en va pas de même pour un second appel à la résistance lancé par De Gaulle depuis Londres le 22 juin 1940, et que l'INA restitue ici.

 

 

 

 

 

Moretti-degaulle2.jpg

      ©Moretti

 

 


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15 juin 2014 7 15 /06 /juin /2014 05:20

 

 

 

Chez moi

Chez moi, dit la petite fille
On élève un éléphant.
Le dimanche son oeil brille
Quand Papa le peint en blanc.

Chez moi, dit le petit garçon
On élève une tortue.
Elle chante des chansons
En latin et en laitue.

Chez moi, dit la petite fille
Notre vaisselle est en or,
Quand on mange des lentilles
On croit manger un trésor.

Chez moi, dit le petit garçon
Vit un empereur chinois.
Il dort sur le paillasson
Aussi bien qu’un Iroquois.

Iroquois! dit la petite fille.
Tu veux te moquer de moi.
Si je trouve mon aiguille,
Je vais te piquer le doigt!

              


René de Obaldia

 

Innocentines, Poèmes pour enfants et quelques adultes.

 

 

 


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12 juin 2014 4 12 /06 /juin /2014 11:09

 

 

fOOTBALL1.jpg

 

 

©Joël GUENOUN

 

 

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11 juin 2014 3 11 /06 /juin /2014 04:57

 

 

 

Green

 

Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches

Et puis voici mon coeur qui ne bat que pour vous.

Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches

Et qu'à vos yeux si beaux l'humble présent soit doux.

 

J'arrive tout couvert encore de rosée

Que le vent du matin vient glacer à mon front.

Souffrez que ma fatigue à vos pieds reposée

Rêve des chers instants qui la délasseront.

 

Sur votre jeune sein laissez rouler ma tête

Toute sonore encor de vos derniers baisers;

Laissez-la s'apaiser de la bonne tempête.

Et que je dorme un peu puisque vous reposez.

 

Paul Verlaine  

Romances sans paroles

 

 


 

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10 juin 2014 2 10 /06 /juin /2014 05:13


 

 

 

Le matin du 10 juin 1944, des chenillettes chargées de soldats allemands s'arrêtent à Oradour-sur-Glane. Cette bourgade paisible, proche de Limoges, compte au total 1200 habitants.

 

La compagnie qui vient d'y pénétrer appartient à la division SS Das Reich du général Lammerding.

 

Les Allemands ont été attaqués dans les jours précédents par les maquisards qui veulent freiner leur remontée vers la Normandie où les Alliés viennent de débarquer. En guise de représailles, le général Lammerding ordonne à la compagnie de détruire Oradour-sur-Glane. La compagnie SS compte environ 120 hommes qui se sont déjà illustrés en Russie dans l'extermination des populations civiles.

 

En début d'après-midi, le bourg est cerné et la population rassemblée sur le champ de foire sous le prétexte d'une vérification d'identité, sans oublier les enfants des écoles.

 

Les SS agissent dans le calme et la population s'exécute sans broncher.

 

Les hommes sont séparés des femmes et des enfants. Ils sont divisés en six groupes et enfermés dans des granges, sous la menace de mitraillettes. Vers 16 heures, les SS tirent des rafales et tuent les malheureux en quelques secondes. Puis ils mettent le feu aux granges bourrées de foin et de paille où gisent les cadavres.

 

Pendant ce temps, les femmes et les enfants sont enfermés dans l'église et des SS y déposent une caisse d'explosifs et de la paille. Le feu commence de ravager l'édifice. Pour s'assurer de l'extermination de tous les occupants, les SS leur tirent dessus.

 

 

Les SS inspectent de nouveau les maisons du bourg ; ils y tuent tous les habitants qui avaient pu échapper à leurs premières recherches, en particulier ceux que leur état physique avait empêchés de se rendre sur le lieu du rassemblement. C'est ainsi que les équipes de secours trouveront dans diverses habitations les corps brûlés de quelques vieillards impotents.
Un envoyé spécial des FFI, présent à Oradour dans les tout premiers jours qui ont suivi, indique qu'on a recueilli dans le four d'un boulanger les restes calcinés de cinq personnes : le père, la mère et leurs trois enfants.
Un puits renfermant de nombreux cadavres est découvert dans une ferme : trop décomposés pour être identifiés, ils seront laissés sur place.

 

 

Leur forfait accompli, ils pillent le village et achèvent de l'incendier. Au total, ils laissent 642 victimes. Parmi elles 246 femmes et 207 enfants, dont 6 de moins de 6 mois, brûlés dans l'église.

 

Oradour-sur-Glane est devenu en Europe occidentale le symbole de la barbarie nazie.

 

 

 


 

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