Joachim DU BELLAY (1522-1560)
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy-là qui conquit la Toison (*),
Et puis est retourné, plein d'usage (*) et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !
Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m'est une province, et beaucoup davantage ?
Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux,
Que des palais Romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine :
Plus mon Loire (*) gaulois, que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré (*), que le mont Palatin,
Et plus que l'air marin la doulceur angevine.
(*) Notes pour les plus jeunes :
Toison : il s’agit, dans la mythologie grecque, de la Toison d’or, conquise
par Jason après un long voyage avec les Argonautes.
Usage : expérience
Loire : comprendre la Loire, (du mot latin Liger qui est masculin)
Liré : c’est le nom du village natal de du Bellay ; il se situe à trois kilomètres des bords de Loire.
Chanté par Ridan, une autre façon enjouée d’apprendre le poème :
http://www.dailymotion.com/video/x1pdgh_ridan-ulysse_music
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Quelques commentaires :
Ce sonnet est éminemment "moderne". Par son sujet, ou "argument" : l'attachement au terroir natal, au point de magnifier ce terroir, est une idée neuve. Non que personne auparavant n'ait témoigné d'un tel attachement, mais personne n'avait osé comparer son terroir à la plus prestigieuse des cités de cette façon. C'est aussi la première fois qu'est affirmée de façon si claire la préférence pour un lieu où l'on puisse vivre avec agrément, comme le suggère" la douceur angevine", pour une vie "privée", entre ses parents, plutôt qu'à la recherche des vanités du monde (gloire, fortune, etc...), sans pour autant prôner la médiocrité ni le renoncement.