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Poésie, Poésie pour enfant, Poésie pour la jeunesse, Textes classiques et modernes, Mémoire de la Shoah,

Paul CELAN. Un oeil ouvert. Eloge du lointain.

Klein-d-oeil.jpg

KLEIN d’œil !

Plus on lit Celan, plus on reste sans voix. Deux poèmes choisis, d’une infinie force, d’une violence sidérale. Il faut parfois, comme ici avec l’allusion graphique à Yves Klein, prendre un chemin de traverse en forme de sourire esquissé ou de respiration pour relire et relire les mots de Celan.

 


 

  

Un œil, ouvert 

 

Heures, couleur mai, fraîches.

Ce qui n’est plus à nommer, brûlant,
 audible dans la bouche.

 

Voix de personne, à nouveau.


Profondeur douloureuse de la prunelle :


la paupière


 ne barre pas la route, le cil
  

ne compte pas ce qui entre.

 


Une larme, à demi,


lentille plus aiguë, mobile,


capte pour toi les images.

 

 

Paul Celan in Grille de parole (Sprachgitter, 1959) – Traduction de Martine Broda

 

Ein Auge, Offen 


Eloge du lointain

 

Dans la source de tes yeux
 vivent les nasses des pêcheurs de la mer délirante.


Dans la source de tes yeux 
la mer tient sa parole.

J’y jette, 
coeur qui a séjourné chez des humains,
 les vêtements que je portais et l’éclat d’un serment :

Plus noir au fond du noir, je suis plus nu.
 Je ne suis, qu’une fois renégat, fidèle. 
Je suis toi, quand je suis moi.

Dans la source de tes yeux
 je dérive et rêve de pillage.

Une nasse a capturé dans ses mailles une nasse:
 nous nous séparons enlacés.

Dans la source de tes yeux
 un pendu étrangle la corde.

in Pavot et mémoire (1952) – Traduction de Martine Broda

 


Note : « Un lecteur parmi les plus attentifs et profonds de l'oeuvre de Celan, George Steiner, a écrit que peut-être la seule langue par laquelle on puisse vraiment pénétrer l'énigme d'Auschwitz c'est l'allemand, c'est-à-dire en écrivant « du dedans de la langue-de-mort elle-même ».  Cette remarque définit assez précisément la démarche de Celan. Le but de Celan n'a jamais été celui de « comprendre » au sens philosophique ou historique du terme -- le verbe verstehen n'appartient pratiquement pas à son vocabulaire -- mais plutôt celui de saisir, de restituer par les mots le sens d'une déchirure de l'histoire à partir de la souffrance qui a marqué ses victimes. Or, tout en puisant à la richesse de son bagage culturel de Juif de Bucovine, à la croisée de plusieurs langues et cultures, il a choisi de faire de l'allemand sa langue d'expression poétique, parfaitement conscient de toutes les conséquences qu'une telle posture impliquait tant sur le plan de l'élaboration que sur le plan de la réception de son oeuvre. »

Enzo Traverso: 
Paul Celan et la poésie de la destruction 
in "L'Histoire déchirée. Essai sur Auschwitz et les intellectuels" ISBN 2-204-05562-X © Les Éditions du Cerf 1997

 



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