Poésie, Poésie pour enfant, Poésie pour la jeunesse, Textes classiques et modernes, Mémoire de la Shoah,
Illustration : L’Elégante (1942-1943)
Francis Picabia (1879-1953), artiste particulièrement anticonformiste, était passionné par les femmes, dont il changeait souvent, et par la peinture dont il tâtait à tous les styles.
* * *
Robert Desnos est né en 1900 à Paris et mort le 8 juin 1945 au Camp de concentration de Theresienstadt, en Tchécoslovaquie à peine libérée du joug de l'Allemagne nazie.
Très impliqué dans la Résistance, il est arrêté sur dénonciation le 22 février 1944. Il est d’abord déporté à Buchenwald, passe par d'autres camps avant de mourir, épuisé par les privations et le typhus, ce 8 juin 1945, un mois après la libération du camp par les Russes. Sa dépouille sera néanmoins rapatriée en France, il sera enterré au cimetière du Montparnasse à Paris.
Lorsqu’il écrit ce poème, Desnos voue alors une folle passion à l'émouvante chanteuse de music-hall Yvonne George. Elle est la mystérieuse qui hantera ses rêveries et règne sur les poèmes des Ténèbres. Elle meurt en 1929. Elle n'a que trente-trois ans. Desnos l'aimera désespérément au-delà de la tombe.
J'ai tant rêvé de toi
J'ai tant rêvé de toi
J'ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité.
Est-il encore temps d'atteindre ce corps vivant et de baiser
sur cette bouche la naissance de la voix qui m'est chère?
J'ai tant rêvé de toi
que mes bras habitués en étreignant ton ombre
à se croiser sur ma poitrine
ne se plieraient pas au contour de ton corps, peut-être.
Et que, devant l'apparence réelle de ce qui me hante et me gouverne
depuis des jours et des années,
je deviendrais une ombre sans doute.
Ô balances sentimentales.
J'ai tant rêvé de toi
qu'il n'est plus temps sans doute que je m'éveille.
Je dors debout, le corps exposé à toutes les apparences de la vie et de l'amour et toi,
la seule qui compte aujourd'hui pour moi, je pourrais moins toucher ton front et tes lèvres que les premières lèvres et le premier front venu.
J'ai tant rêvé de toi,
tant marché, parlé, couché avec ton fantôme
qu'il ne me reste plus peut-être,
et pourtant, qu'à être fantôme parmi les fantômes et plus ombre cent fois que l'ombre qui se promène et se promènera allégrement sur le cadran solaire de ta vie.
In Corps et Bien – 1930 –
Note : il s’agit bien sûr d’un poème en prose. Il s’articule pourtant avec méthode autour du superbe et énigmatique vers central Ô balances sentimentales en quatre « strophes », chacune commençant par J’ai tant rêvé de toi.