Très chère Zouc
Publié le 13-10-2010 à 10h15 - Mis à jour le 14-10-2010 à 08h55 - Par Jérôme Garcin
Cela fait plus de vingt ans que Zouc nous manque. Le vide qu'elle a laissé est proportionnel à la place hénaurme qu'elle a occupée.
Ceux qui l'ont vue sur scène n'ont jamais oublié son physique primitif, son cheveu noir et plaqué, son regard halluciné, sa bouche élastique, sa faculté effrayante et grotesque de se métamorphoser en nouveau-né grimaçant, en si-gentille-petite-fourmi, en vieillarde arthritique, en Vierge Marie ou en folle enfermée à l'asile. C'est une expérience qu'elle a connue : à l'adolescence, elle a été internée, pendant dix-huit mois, dans un hôpital psychiatrique, où elle a appris à se balancer avec les agités. Née dans le Jura bernois en 1950, elle s'appelait encore Isabelle von Allmen. De devenir Zouc l'a sauvée. Du Vieux-Colombier à Bobino, elle s'est appliquée à canaliser son hystérie, à gérer sa douleur, à maîtriser sa violence et à se décharger, sur un public fasciné, pétrifié, de tout ce qui l'encombrait : une cruauté sans nom et une tendresse sans emploi.
Elle a disparu aussi vite qu'elle était apparue. Opérée à Paris, en 1997, d'un cancer du sternum, victime d'une infection nosocomiale, elle survit aujourd'hui, en Suisse, sous un harnais et une assistance respiratoire, étonnée de voir, après qu'on lui a enlevé les côtes, son cœur d'enfant battre sous sa peau. En septembre 2006, Zouc, qui se reposait à La Chaux-de-Fonds, nous avait confié qu'elle était une « miraculée » et qu'elle avait parfois l'impression d'être « une sorte de poussin » : « Je redécouvre tout comme si je venais au monde. Chaque jour, je grandis un peu plus. Vivre est un très long apprentissage. » Elle nous avait dit aussi combien elle avait besoin « d'exister dans la mémoire des autres ».
Qu'elle se rassure, elle est inoubliable. Il y a quatre ans, Thomas Simonnet a réédité, chez Gallimard, « Zouc par Zouc », son autobiographie parlée qu'Hervé Guibert avait recueillie d'une traite, en 1974, à la terrasse d'un café d'Avignon. Et puis Nathalie Baye a joué ce texte volcanique au Théâtre du Rond-Point. Aujourd'hui, dans un livre bref, la romancière Maryline Desbiolles paie sa dette à cette artiste tragi-comique qui lui semble avoir été peinte à la fois par Holbein et Giacometti. Chez cette femme « envahissante », l'auteur de « la Seiche » retrouve la drôlerie de ses mère et grand-mère savoyardes. « Elle me manque », écrit-elle aussi. C'est fou, ce regret qu'on a tous d'elle, ce besoin qu'on a de lui parler. Bonjour, très chère Zouc, j'espère que vous allez bien.
Jérôme Garcin
Une femme drôle, par Maryline Desbiolles,
L'Olivier, 74 p., 11 euros.
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Source : « ©Le Nouvel Observateur » du 7 octobre 2010
Le téléphone. -" Madame von Allmen....Voui...Voui... !!!
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