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28 avril 2011 4 28 /04 /avril /2011 06:55

 

 

L’Éternité

 

 

Elle est retrouvée.

Quoi ? - L'Éternité.

C'est la mer allée

Avec le soleil.

 

Âme sentinelle,

Murmurons l'aveu

De la nuit si nulle

Et du jour en feu.

 

Des humains suffrages,

Des communs élans

Là tu te dégages

Et voles selon.

 

Puisque de vous seules,

Braises de satin,

Le Devoir s'exhale

Sans qu'on dise : enfin.

 

Là pas d'espérance,

Nul orietur.

Science avec patience,

Le supplice est sûr.

 

Elle est retrouvée.

Quoi ? - L'Éternité.

C'est la mer allée

Avec le soleil.

 

Arthur RIMBAUD in Derniers Vers. Fêtes de la Patience. Mai 1872

 

 

2K.jpg
 

 

 

L'Éternité.

C'est la mer allée

Avec le soleil.

 

 

 

 

 

Photo  Nuageneuf.via i-phone. Le Touquet. 24 avril 2011. 19h50. 



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24 mars 2011 4 24 /03 /mars /2011 07:49

 

 

Sensation est le second poème du Cahier de Douai. Rimbaud n’a pas 16 ans – il les fêtera le 20 octobre 1870 - lorsqu’il écrit ces deux quatrains… « Et j’irai loin, bien loin »

 

 

 

Sensation

 

Par les soirs bleus d'été, j'irai dans les sentiers

Picoté par les blés, fouler l'herbe menue:

Rêveur, j'en sentirai la fraîcheur à mes pieds.

Je laisserai le vent baigner ma tête nue.

 

Je ne parlerai pas, je ne penserai à rien:

Mais l'amour infini me montera dans l'âme,

Et j'irai loin, bien loin, comme un bohémien,

Par la nature, - heureux comme avec une femme.

 

Arthur RIMBAUD – mars 1870

 

rimbaud.jpg 

 

 

Illustration : le manuscrit du poème.

 

 

 


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23 mars 2011 3 23 /03 /mars /2011 07:45

 

 

Rêvé pour l'hiver

 

A ***Elle

 


L’hiver, nous irons dans un petit wagon rose
Avec des coussins bleus.
Nous serons bien. Un nid de baisers fous repose
Dans chaque coin moelleux.

Tu fermeras l’œil, pour ne point voir, par la glace,
Grimacer les ombres des soirs,
Ces monstruosités hargneuses, populace
De démons noirs et de loups noirs.

Puis tu te sentiras la joue égratignée…
Un petit baiser, comme une folle araignée,
Te courra par le cou…

Et tu me diras : "Cherche !", en inclinant la tête,
- Et nous prendrons du temps à trouver cette bête
- Qui voyage beaucoup... 



Arthur RIMBAUD. 7 octobre 1870

 

diey-yves-1892-1984-france-les-coussins-bleus-1574449.jpg

...dans un petit wagon rose
Avec des coussins bleus...

Illustration : LES COUSSINS BLEUSYves DIEY (1892 - 1984)     

 

 

 

Note: Le poème a une dédicace A***Elle, avec des étoiles pour masquer le nom de la belle élue. Les étoiles sont apparues plus tard, dans "Un cœur sous la soutane". Étrange début pour un rêve que de commencer par un verbe au futur: "L'hiver nous irons". Ici, la réalité est embellie : le wagon est de couleur rose et les sièges en bois qu’on imagine inconfortables sont recouverts de coussins bleus : "nous serons bien".


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4 mars 2011 5 04 /03 /mars /2011 07:09

 

 

 

L'étoile a pleuré rose au coeur de tes oreilles,

L'infini roulé blanc de ta nuque à tes reins ;

La mer a perlé rousse à tes mammes vermeilles

Et l'Homme saigné noir à ton flanc souverain.

 

Arthur Rimbaud. -1871-

 

 


 

 

Ce quatrain isolé est un poème sans titre.

 

Dans les trois premiers vers, Rimbaud sculpte en douceur les contours idéalisés de la femme, les oreilles, la nuque et les reins, puis les seins ; on découvre que l’étoile est rose, l’infini blanc et la mer rousse.

 

Puis vient le dernier vers, féroce et inattendu : il souligne toutes les souffrances imposées à l’homme par cette femme. Et le noir remplace les couleurs précédentes. L’homme saigne.

 

 

Madrigal ou épigramme ?

 

Un madrigal est ainsi défini dans le TLFI (Trésor de la langue française informatisé) :

"Pièce de poésie consistant en une pensée exprimée avec finesse en quelques vers de forme libre et prenant souvent, à l'égard d'une femme, la tournure d'un compliment galant. Exemple :

 

"Quand roucoulerez-vous, ô reines de salon!

Ces madrigaux ouvrés et ces fadaises tendres

Qu'improvisaient pour vous de précieux Clitandres?"

 

Théodore de BANVILLE in Cariatides, 1842, p. 28)

 

Une épigramme est ainsi définie par le même TFLI : "petit poème satirique se terminant par un trait d'esprit."

 

Alors ? Aventurons nous à définir ce quatrain comme une épigramme dont les trois premiers seraient un madrigal !

 

 


 

 

Delvaux_Pygmalion1939.jpg

Paul DELVAUX  -  Pygmalion  -  1939  -

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9 décembre 2010 4 09 /12 /décembre /2010 11:54

 

 

La Maline


Dans la salle à manger brune, que parfumait
Une odeur de vernis et de fruits, à mon aise
Je ramassais un plat de je ne sais quel met
Belge, et je m'épatais dans mon immense chaise.

En mangeant,  j'écoutais l'horloge,  - heureux et coi.
La cuisine s'ouvrit avec une bouffée,
Et la servante vint, je ne sais pas pourquoi,
Fichu moitié défait, malinement coiffée

Et, tout en promenant son petit doigt tremblant
Sur sa joue, un velours de pêche rose et blanc,
En faisant, de sa lèvre enfantine, une moue,

Elle arrangeait les plats, près de moi, pour m'aiser ;
- Puis, comme ça, - bien sûr pour avoir un baiser,-
Tout bas : « Sens donc, j'ai pris un froid sur la joue... »

A.RIMBAUD. Charleroi, octobre 1970. Lire : octobre 1870 !

 


4 juin 2012

 

Cédric nous signale ce jour que nous avions rajeuni Rimbaud de 100 ans !

Cent ans ! Rien que cela !

Mais quand on aime, on a toujours cent ans, de moins !

(On rectifiera donc pour le bon ordre que le poème date d'octobre 1870, bien entendu.)

 


 

On notera que RIMBAUD utilise par deux fois le mot malinement, une première fois dans son premier poème du Cahier de Douai, Première soirée.  Relire Première soirée ici.

 

ou extrait : le dernier vers du dernier quatrain :
- Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillée
Malinement, tout près, tout près.


 

puis ci-dessus, dans ce poème La Maline.

 


On notera également que ces deux poèmes ouvrent et closent le recueil dit Le cahier de Douai. L’occasion d’évoquer cette ville de Douai et l’un de ses enfants, artiste peintre, H.E.Delacroix, né en 1856, juste deux années après Arthur. Mais quelle drôle d’idée de se nommer Delacroix quand on veut être peintre. Fatigué d’être en permanence confondu avec son illustre devancier, Henri-Edmond choisit malinement le pseudonyme de Cross ! Très lié avec Georges Seurat et Paul Signac, son oeuvre est essentiellement pointilliste. Il peindra essentiellement la Provence, où il séjourne jusqu’à sa mort, il y a cent ans, en 1910. 

 

Cross.La toison1892

 


      Peinture d' Henri-Edmond CROSS - La Toison - 1892 -

Le rendu à l'écran est bien fade et triste. Nous en sommes désolés. Parfois, comme aurait dit Roxane à Christian, l'internet a "la goutte à l'imaginative" ! ...


 

 

 


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29 novembre 2010 1 29 /11 /novembre /2010 16:52

bouquet.jpg

 



" D'un gradin d'or, - parmi les cordons de soie, les gazes grises, les velours verts et les disques de cristal qui noircissent comme du bronze au soleil, - je vois la digitale s'ouvrir sur un tapis de filigranes d'argent, d'yeux et de chevelures.

Des pièces d'or jaune semées sur l'agate, des piliers d'acajou supportant un dôme d'émeraudes, des bouquets de satin blanc et de fines verges de rubis entourent la rose d'eau.

Tels qu'un dieu aux énormes yeux bleus et aux formes de neige, la mer et le ciel attirent aux terrasses de marbre la foule des jeunes et fortes roses. "

Arthur Rimbaud in Fleurs - Oeuvres complètes - Bibliothèque de la Pléiade.
 

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24 novembre 2010 3 24 /11 /novembre /2010 00:53

voyelles

 

 

Alchimie du verbe

 

   À moi. L'histoire d'une de mes folies.

   Depuis longtemps je me vantais de posséder tous les paysages possibles, et trouvais dérisoires les célébrités de la peinture et de la poésie modernes.

   J'aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires ; la littérature démodée, latin d'église, livres érotiques sans orthographe, romans de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l'enfance, opéras vieux, refrains niais, rythmes naïfs.

   Je rêvais croisades, voyages de découvertes dont on n'a pas de relations, républiques sans histoires, guerres de religion étouffées, révolutions de moeurs, déplacements de races et de continents : je croyais à tous les enchantements.

   J'inventai la couleur des voyelles ! - A noir, E blanc, I rouge, O bleu, U vert. - Je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne, et, avec des rythmes instinctifs, je me flattai d'inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l'autre, à tous les sens. Je réservais la traduction.

   Ce fut d'abord une étude. J'écrivais des silences, des nuits, je notais l'inexprimable. Je fixais des vertiges.

 

 

 

 

A noir, E blanc, I rougeU vertO bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,

 

Golfes d'ombre ; E, candeur des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;

 

U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux ;

 

O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silence traversés des Mondes et des Anges :
- O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux ! -

Arthur RIMBAUD.



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20 novembre 2010 6 20 /11 /novembre /2010 00:32

 

rimbaud-voyages.jpg

 

Photo courtoisement mise à disposition par Joël H. Prise à Lyon.

Cette agence de voyages est située 68 avenue du Maréchal de Saxe, 3ème arrondissement. 


 

 

 

Michel et Christine est un de ces textes énigmatiques pour lesquels on a l'impression qu'ils se sont éclairés au fil du temps, grâce au travail de la critique. Et, pour une fois, moins par l'affrontement des interprétations que par leur collaboration indirecte dans l'approfondissement du sens du texte. René Étiemble (en 1936) est le premier à avoir signalé la référence du titre du poème à celui d'un vaudeville de Scribe : "Michel et Christine". C'est probablement à cette rencontre que fait allusion  Alchimie du verbe : "un titre de vaudeville dressait des épouvantes devant moi". Pierre Brunel a ensuite établi un premier niveau de sens lorsqu'il a mis en évidence (en 1987) l'inspiration parodique du poème : une parodie du genre littéraire de l'idylle. Si bien que Steve Murphy, lorsqu'il croit pouvoir déceler dans ce même poème (en 2004) une "parodie de l'idylle verlainienne", telle qu'elle se manifeste dans Malines, ne contredit pas la thèse de Brunel mais la précise et la confirme. Cependant, Yves Reboul a bien montré (en 1990) que le sens du poème ne peut pas être réduit à cette intention parodique. Comme l'avait senti Isabelle Rimbaud, le poème recèle aussi une portée politique ("J'aurais voulu, écrit la sœur du poète dans une lettre, que l'on supprimât les trois morceaux intitulés : Le Forgeron, Michel et Christine, Paris se repeuple, qui semblent exprimer des idées révolutionnaires"). Ainsi compris, Michel et Christine apparaît comme une rêverie révolutionnaire où les noms joints d'un couple de vaudeville symbolisent l'avènement du "nouvel amour" sur les décombres du vieux monde renversé par l'action des "nouveaux barbares". Au dénouement de la fable, cette rêverie se brise. C'est que le poète vient de s'aviser que le mot "christ" jette sa malédiction sur le prénom de "Christine", comme les prescriptions morales du christianisme sur la libre satisfaction du désir. Interprétation à son tour confirmée par Steve Murphy lorsqu'il découvre (en 2004) que le livret de l'opéra de Scribe utilise l'abréviation "Christ." pour Christine, artifice typographique qui a bien pu faire rêver Rimbaud s'il l'a rencontré dans ses lectures, ce qui est fort possible (on connaît l'intérêt de Verlaine et Rimbaud pour les "refrains niais" de ces "opéras vieux" en 1872).

 

Bibliographie :

 

propos de Michel et Christine", par René Étiemble et Yassu Gauclère, dans les Cahiers du Sud, pages 927-931, décembre 1936. Repris dans Hygiène des lettres, t. IV, Poètes ou faiseurs ?, Gallimard 1966.

"La Fin de l'idylle", par Pierre Brunel, dans Revue d'histoire littéraire de la France, pages 200-212, mars-avril 1987 n°2.

"Lecture de Michel et Christine", par Yves Reboul, dans Parade Sauvage, Colloque n°2, Rimbaud "à la loupe", pages 52-59, 1990.

"Michel et Christine", par Bernard Meyer, dans Rimbaud vivant, n°38, pages 4-32, juillet 1999.

"Détours et détournements : Rimbaud et le parodique", par Steve Murphy, dans Parade sauvage, Colloque N°4, 13-15 septembre 2002, pages 77-126, 2004. Les pages 98-101 analysent le rapport de Michel et Christine avec Malines, poème des Romances sans paroles de Verlaine.

"Michel, Christine et Christ : vers les origines d'un calembour", par Steve Murphy, dans Parade sauvage n° 20, p. 250-251, décembre 2004.

"Michel et Christine, Paix et Guerre", par Steve Murphy, Rimbaud, l'invisible et l'inouï, CNED-PUF, 2009, p.176-180.

 

 

 

Michel et Christine

 

 

Zut alors, si le soleil quitte ces bords !

Fuis, clair déluge ! Voici l'ombre des routes.

Dans les saules, dans la vieille cour d'honneur,

L'orage d'abord jette ses larges gouttes.

 

O cent agneaux, de l'idylle soldats blonds,

Des aqueducs, des bruyères amaigries,

Fuyez ! plaine, déserts, prairie, horizons

Sont à la toilette rouge de l'orage !

 

Chien noir, brun pasteur dont le manteau s'engouffre,

Fuyez l'heure des éclairs supérieurs ;

Blond troupeau, quand voici nager ombre et soufre,

Tâchez de descendre à des retraits meilleurs.

 

Mais moi, Seigneur ! voici que mon Esprit vole,

Après les cieux glacés de rouge, sous les

Nuages célestes qui courent et volent

Sur cent Solognes longues comme un railway.

 

Voilà mille loups, mille graines sauvages

Qu'emporte, non sans aimer les liserons,

Cette religieuse après-midi d'orage

Sur l'Europe ancienne où cent hordes iront !

 

Après, le clair de lune ! partout la lande,

Rougissant leurs fronts aux cieux noirs, les guerriers

Chevauchent lentement leurs pâles coursiers !

Les cailloux sonnent sous cette fière bande !

 

- Et verrai-je le bois jaune et le val clair,

L'épouse aux yeux bleus, l'homme au front rouge, - ô Gaule

Et le blanc Agneau pascal, à leurs pieds chers,

- Michel et Christine, - et Christ ! - fin de l’Idylle.

 

Arthur RIMBAUD in Poésies.1872 .

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6 octobre 2010 3 06 /10 /octobre /2010 23:34

Un Rimbaud bien surprenant : à 16 ans, déjà attaché aux souvenirs auxquels il accorde une valeur émotionnelle ! Les choses ont-elles encore bien des choses à nous raconter ?

 

Un Rimbaud bien sentimental : un vocabulaire simple, des répétitions multiples sur les mots "vieux", "vieille", "conte", (mais Rimbaud aime –et nous avec- ces répétitions, ces anaphores).

 

Un Rimbaud d'une tendre sensibilité et dénué d’agressivité. C’est rare.

 

Le sonnet, écrit à Douai chez M.Izambard, est l’avant dernier des 22 poèmes du Cahier de Douai.



one_chase_dubuffet.jpg

Illustration : Groupe de quatre arbres. Jean DUBUFFET

1 Chase Manhattan Plaza, New York City. N.Y.

Jean Dubuffet (1901-1985) est un sculpteur et plasticien français, à l’origine du concept de l’ "art brut".


Le buffet

 

C'est un large buffet sculpté ; le chêne sombre,

Très vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens ;

Le buffet est ouvert, et verse dans son ombre

Comme un flot de vin vieux, des parfums engageants ;

 

Tout plein, c'est un fouillis de vieilles vieilleries,

De linges odorants et jaunes, de chiffons

De femmes ou d'enfants, de dentelles flétries,

De fichus de grand'mère où sont peints des griffons ;

 

- C'est là qu'on trouverait les médaillons, les mèches

De cheveux blancs ou blonds, les portraits, les fleurs sèches

Dont le parfum se mêle à des parfums de fruits.

 

- Ô buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires,

Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis

Quand s'ouvrent lentement tes grandes portes noires.

 

Arthur Rimbaud

Octobre 1870 - Il a seize ans !

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23 septembre 2010 4 23 /09 /septembre /2010 00:45

ernest_rimbauddansparis.jpg

 

Pignon-Ernest-rimbaud pgExtrait d’un entretien d’Ernest-Pignon Ernest (déjà évoqué iciau Nouvel Observateur « Spécial Rimbaud »4-10 AVRIL 1991

 

« Bien sûr, j'ai toujours su, en même temps, qu'il était impossible de faire vraiment un portrait de Rimbaud. Imaginez un Rimbaud en marbre ! un Rimbaud en bronze ! sur un socle ou pris dans un cadre ! Le sentiment d'une contradiction fondamentale, inscrite déjà dans le matériau même. Qui figerait au départ l’image du marcheur insatiable.

Si beaucoup de rimbaldiens ont adopté, accepté mes images sérigraphiées du poète collées dans les rues en 1978, c’est, je crois, surtout parce que le matériau et le parti pris de cette forme d’intervention évitaient le piège de l’image sacralisée, figée, unique.

J’avais beaucoup travaillé le dessin, la main, la veste sur l’épaule, l’idée de départ, la silhouette à la fois contemporaine et fidèle au croquis d’époque de Verlaine et Regamey ; le visage, à partir de Fantin-Latour mais surtout de cette miraculeuse photo où Carjat a su - ce que j'essaie de faire par le dessin - éliminer tout ce qui est d'ordinaire anecdote dans l’apparente ressemblance de la photographie.

Le papier lui-même, sa fragilité, fonctionnait comme un élément poétique et plastique essentiel. En rencontrant ces images dans la rue, on en. percevait, comme pour le dessin, le caractère irrémédiablement éphémère. En quelque sorte, plus le dessin « émouvait », plus la perception de sa destruction inéluctable était troublante et forte, et intervenait dans la rencontre tel un élément « suicidaire ». Mais c'est le collage qui est vraiment le moment de création plastique et poétique ; inscrire l’image dans un lieu, de manière qu'elle se charge de toute la force symbolique et plastique que porte ce lieu. J'ai collé Rimbaud dans les lieux « absolument modernes », sur des murs couverts de graffitis, sur des portes d'acier de transformateurs, sur toutes sortes d'interdits, sur la route de Charleville, sur celle du soleil : un Rimbaud pluriel, éphémère, errant. »


Le plus : allez visiter son site officiel  qui est une pure merveille : http://www.pignon-ernest.com/ 


Roman

 

I

 

On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans.

− Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,

Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !

− On va sous les tilleuls verts de la promenade.

Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin !

L’air est parfois si doux, qu’on ferme la paupière ;

Le vent chargé de bruits, − la ville n’est pas loin,

A des parfums de vigne et des parfums de bière...

 

II

 

− Voilà qu’on aperçoit un tout petit chiffon

D’azur sombre, encadré d’une petite branche,

Piqué d’une mauvaise étoile, qui se fond

Avec de doux frissons, petite et toute blanche...

Nuit de juin ! Dix-sept ans ! - On se laisse griser.

La sève est du champagne et vous monte à la tête...

On divague ; on se sent aux lèvres un baiser

Qui palpite là, comme une petite bête...

 

III

 

Le cœur fou Robinsonne à travers les romans,

− Lorsque, dans la clarté d’un pâle réverbère,

Passe une demoiselle aux petits airs charmants,

Sous l’ombre du faux-col effrayant de son père...

Et, comme elle vous trouve immensément naïf,

Tout en faisant trotter ses petites bottines,

Elle se tourne, alerte et d’un mouvement vif...

− Sur vos lèvres alors meurent les cavatines...

 

IV

 

Vous êtes amoureux. Loué jusqu’à mois d’août.

Vous êtes amoureux. − Vos sonnets La font rire.

Tous vos amis s’en vont, vous êtes mauvais goût.

− Puis l’adorée, un soir, a daigné vous écrire... !

− Ce soir-là, ... − vous rentrez aux cafés éclatants,

Vous demandez des bocks ou de la limonade...

− On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans

Et qu’on a des tilleuls verts sur la promenade.

 

 

Jean Nicolas Arthur Rimbaud.

29 septembre 1870.


 

 Note 1 : une cavatine est un petit air d’opéra, très court.

Note 2 : Robinsonne : un néologisme heureux qui renvoie à Robinson Crusoë.

Note 3 : Le poème est achevé le 29 septembre. Rimbaud fêtera ses seize ans le 20 octobre suivant…


 

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