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31 mai 2011 2 31 /05 /mai /2011 07:08

#466

 

 

      Francis PONGE (1899-1988) est un poète français dont nous avons publié hier l'énigmatique Pain. Quelques éclaircissements s'imposent.

 

 

Jean Cocteau, en 1926, expose sa vision de la poésie dans Rappel à l’Ordre. Pour lui, le poète doit refuser l’exotisme et peindre les objets sur lesquels « son cœur, son œil glissent chaque jour » afin de montrer « nues, sous une lumière qui secoue la torpeur » les choses « surprenantes qui nous environnent ».


Baudelaire, lui, bouleverse le genre poétique en exposant sous un autre angle les sujets ‘classiques’ du genre : la femme aimée devient « serpent », le plaisir « tue », la « Beauté » est toujours inaccessible et cache souvent une certaine cruauté (une Passante, la Beauté.).

 

Victor Hugo déclare vouloir « mettre le bonnet rouge au vieux dictionnaire » et ‘réhabiliter’ les « mots roturiers. »

 

Et Stéphane Mallarmé veut « redonner un sens aux mots de la tribu. »

 

Les poètes surréalistes, quant à eux, explorent l’inconscient. Ils transcrivent directement leurs pensées, avec le minimum de travail de réécriture et refusent toute influence extérieure.

      

 

Cependant le poète qui assigne à la poésie le même rôle que Cocteau est sans doute Francis Ponge. Son œuvre la plus connue, Le Parti pris des Choses (1942) est un recueil de courts poèmes en prose décrivant, d’une façon radicalement différente de ce à quoi l’on peut s’attendre des « choses » à première vue banales et indignes de faire l’objet d’un poème. C’est là toute l’étrangeté et l’originalité de cette œuvre.

 

                Ponge écrit contre le pessimisme existentiel, l’incertitude et l’angoisse  métaphysique, le "silence déraisonné du monde" auquel Camus fait référence dans Le Mythe de Sisyphe (« L’absurde naît de cette confrontation entre l’être humain et le silence »). Ponge entend au contraire faire parler les choses : « le monde muet est notre seule patrie »  déclare-t-il. Il choisit délibérément des objets finis, modestes, circonscrits : 

 

 

« A partir du moment où l’on considère les mots comme une matière, il est très agréable de s’en occuper. Tout autant que peut l’être pour un peintre de s’occuper des couleurs et des formes. Très plaisant d’en jouer.

(…)

Par ailleurs, c’est seulement à partir des propriétés particulières de la matière verbale que peuvent être exprimées certaines choses - ou plutôt les choses.

(…)

S’agissant de rendre le rapport de l’homme au monde, c’est seulement de cette façon qu’on peut espérer réussir à sortir du manège ennuyeux des sentiments, des idées, des théories, etc. »

 

 ponge.jpg

 

Une photographie de Francis PONGE.  

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30 mai 2011 1 30 /05 /mai /2011 06:54

#465

 

 

 

Le pain.

 

" La surface du pain est merveilleuse d'abord à cause de cette impression quasi panoramique qu'elle donne : comme si l'on avait à sa disposition sous la main les Alpes, le Taurus ou la Cordillère des Andes. Ainsi donc une masse amorphe en train d'éructer fut glissée pour nous dans le four stellaire, où durcissant elle s'est façonnée en vallées, crêtes, ondulations, crevasses… Et tous ces plans dès lors si nettement articulés, ces dalles minces où la lumière avec application couche ses feux, - sans un regard pour la mollesse ignoble sous-jacente. Ce lâche et froid sous-sol que l'on nomme la mie a son tissu pareil à celui des éponges : feuilles ou fleurs y sont comme des sœurs siamoises soudées par tous les coudes à la fois. Lorsque le pain rassit ces fleurs fanent et se rétrécissent : elles se détachent alors les unes des autres, et la masse en devient friable… Mais brisons-la : car le pain doit être dans notre bouche moins objet de respect que de consommation. "

 

Francis Ponge in  Le Parti-pris des choses, 1942, 

 

 

Dali-la-corbeille-de-pain-1943.png

Illustration : DALI, La corbeille de pain, 1943

 

 

 

Lire les textes de Francis PONGE déjà publiés ici

 

 



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14 décembre 2010 2 14 /12 /décembre /2010 00:42

 

 

 

petrus-2000.jpg

 

Comme de toute chose, il y a un secret du vin ; mais c'est un secret qu'il ne garde pas. On peut le lui faire dire : il suffit de l'aimer, de le boire, de le placer à l'intérieur de soi-même. Alors il parle. En toute confiance, il parle.

 

Francis PONGE.

 

 

 

 

 

 

Note : Ce texte est un court extrait des travaux de Ponge dans Pièces. Lorsqu'il s'arrête sur le vin et son secret, c'est dans le cadre d'une comparaison avec l'eau. Et son raisonnement prend alors une toute autre amplitude : " Tandis que l'eau garde mieux son secret ; du moins est-il beaucoup plus difficile à déceler, à saisir."


 

relire et situer PONGE

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6 novembre 2010 6 06 /11 /novembre /2010 00:48

allumette.jpg

 

L’ALLUMETTE

 

Le feu faisait un corps à l’allumette.                 

Un corps vivant, avec ses gestes,                      

son exaltation, sa course, son histoire.

Les gaz émanés d’elle flambaient,

lui donnaient ailes et robes, un corps même :

une forme mouvante,

émouvante.

 

Ce fut rapide.

 

La tête seulement a pouvoir de s’enflammer, au contact d’une réalité dure,

-- et l´on entend alors comme le pistolet du starter.

Mais dès qu’elle a pris,

la flamme,

-- en ligne droite, vite et la voile penchée comme un bateau de régate --

  parcourt le petit bout de bois.

 

Qu’à peine a-t-elle viré de bord

finalement elle laisse

aussi noir qu’un curé.

 

Francis Ponge in  le Parti pris des choses.

 


NoteFrancis Ponge (1899-1988) est un poète français. Sa poésie tend à abolir la distinction entre le mot et la chose qu'il désigne.

 

En 1940, il quitte Paris pour s'engager dans la Résistance. La publication, en 1942, du Parti pris des chosesle fait reconnaître comme un écrivain de grande valeur. Dans ce recueil, il pose les principaux éléments de son projet poétique, loin des convulsions et de l'automatisme dont les surréalistes avaient donné l'exemple et loin de la dimension épique d'un Saint-John Perse, ou de cette forme de sacré qu'on trouve chez René Char, par exemple. Dans ce recueil, Ponge choisit en effet d'être le poète du quotidien, du matériel, des objets et des choses (« l'Huître », « le Savon », « l'Orange », « la Cruche », « l'Appareil du téléphone »). Loin de percevoir et de montrer le monde à travers sa subjectivité de poète, Ponge prend le parti des choses, et cherche à leur donner par les mots la possibilité d'une expression. Le poème, sorte d'équivalent neutre de l'objet, devient alors un véritable objet littéraire, un « objeu ».

Par une savante et complexe utilisation de l'étymologie, de la graphie, des sons, des jeux de mots, des figures, la poésie de Ponge devient une sorte de redoublement du réel.

De retour à Paris après la guerre, Ponge se met à enseigner tout en poursuivant son œuvre poétique (Proêmes, 1948, la Rage de l'expression, 1952, Le Grand Recueil, 1961, Nouveau Recueil, 1967). Il écrit également des essais qui éclairent sa pratique poétique : Pour un Malherbe (1965), Méthodes (1971), la Fabrique du pré (1971), Comment une figue de paroles et pourquoi(1977). Il est consacré, tardivement, par le grand prix de poésie de l'Académie française en 1984. Il meurt à Bar-sur-Loup le 6 août 1988 à 89 ans.

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