Installé à Paris, Paul Celan épouse Gisèle de Lestrange (1927-1991) avec qui il échangera plus de 700 lettres. Gisèle est une graveuse célèbre qui illustre essentiellement des livres de poèmes.
Comme déjà évoqué, Celan écrit sa poésie en allemand, sa langue maternelle. Toutefois, il parle et maîtrise parfaitement le français, qu’il utilise dans sa correspondance avec Gisèle.
Suivent ici quelques extraits de ses lettres, qui nous éclaireront un peu sur ses affreux tourments :
«... je tiens à vous dire combien il est difficile pour un Juif d'écrire des poèmes en langue allemande. Quand mes poèmes paraîtront, ils aboutiront bien aussi en Allemagne et - permettez-moi d'évoquer cette chose terrible -, la main qui ouvrira mon livre aura peut-être serré la main de celui qui fut l'assassin de ma mère... Et pire encore pourrait arriver... Pourtant mon destin est celui-ci : d'avoir à écrire des poèmes en allemand.» (Lettre de 1946)
Pourtant, souvent, Paul Celan se plaignait qu'on assimile toujours sa poésie au célèbre recueil Todesfuge. Il a écrit de nombreux poèmes d'amour :
L’automne me mange sa feuille dans la main : nous sommes amis.
Nous délivrons le temps de la coquille des noix et lui apprenons à marcher : le temps retourne dans la coquille.
Dans le miroir c’est dimanche,
dans le rêve on est endormi,
la bouche parle sans mentir.
Mon œil descend vers le sexe de l’aimée :
nous nous regardons,
nous nous disons de l’obscur,
nous nous aimons comme pavot et mémoire,
nous dormons comme un vin dans les coquillages,
comme la mer dans le rai de sang jailli de la lune.
Nous sommes enlacés dans la fenêtre, ils nous regardent depuis la rue :
il est temps que l’on sache !
Il est temps que la pierre se résolve enfin à fleurir,
qu’à l’incessante absence de repos batte un cœur.
Il est temps que le temps advienne.
Il est temps.
Paul Celan, Corona, in le recueil « Pavot et Mémoire ».
Sculpture d'Anselm Kiefer (1989)
Peut-être ici trouvons-nous une illustration par Kiefer du vers :
nous nous aimons comme pavot et mémoire,
ou alors de celui-ci :
Il est temps que la pierre se résolve enfin à fleurir,
Le poème en version originale :
Aus der Hand frißt der Herbst mir sein Blatt: wir sind Freunde.
Wir schälen die Zeit aus den Nüssen und lehren sie gehn:
die Zeit kehrt zurück in die Schale.
Im Spiegel ist Sonntag,
im Traum wird geschlafen,
der Mund redet wahr.
Mein Aug steigt hinab zum Geschlecht der Geliebten:
wir sehen uns an,
wir sagen uns Dunkles,
wir lieben einander wie Mohn und Gedächtnis,
wir schlafen wie Wein in den Muscheln,
wie das Meer im Blutstrahl des Mondes.
Wir stehen umschlungen im Fenster, sie sehen uns zu von der Straße:
es ist Zeit, daß man weiß!
Es ist Zeit, daß der Stein sich zu blühen bequemt,
daß der Unrast ein Herz schlägt.
Es ist Zeit, daß es Zeit wird.
Es ist zeit.