Illustration : William TURNER. « Staffa, la grotte de Fingal » -1832 -
Bien sûr, il y a Celan, Carême, Obaldia, Queneau.
Et puis, il y a Racine, Rostand, Verlaine et Rimbaud...Et Desnos, Eluard et Prévert et …
Mais Baudelaire ! En six mois, pas même une allusion à Baudelaire. Ne mériterait-il pas, parmi eux, une place, pour ne pas dire une place « énorme » ? On entend d’ici Fabrice Luchini pestant : « Baudelaire ! Baudelaire, mais c’est énooorrrme, Baudelaire ! »
Mais voilà, nous étions trop impressionnés. C’est que Baudelaire est ENORME ! Ecraserait-il tous les autres? Et que choisir ? Si les sculptures de Rodin expriment la puissance, la poésie de Baudelaire l'exprime tout autant.
Ah oui, elle en "impose" ! Bien sûr, on peut en louer la rigueur de composition, la richesse des images, mais aussi et surtout, en éprouver le mystère. Mystère de l'envoûtement. On peut décortiquer, disséquer les textes et en disserter, mais la plus grande jouissance est de se laisser porter, abandonné aux sensations de la langue pour respirer, toucher, entendre, voir...
Goûter la beauté. Rare privilège.
Baudelaire, oui, parce que la beauté n'a pas à s'expliquer, elle s'impose.
- Et que choisir ? disions-nous plus haut. Le tout premier poème que nous proposons aujourd’hui nous parait heureusement épouser l’atmosphère que nous tentons de créer sur ce blog.
L’étranger
Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ? Ton père, ta mère, ta soeur ou ton frère ?
- Je n'ai ni père, ni mère, ni soeur, ni frère.
- Tes amis ?
- Vous vous servez là d’une parole dont le sens m'est resté jusqu'à ce jour inconnu.
- Ta patrie ?
- J'ignore sous quelle latitude elle est située.
- La beauté ?
- Je l’aimerais volontiers, déesse et immortelle.
- L’or ?
- Je le hais comme vous haïssez Dieu.
- Eh ! qu'aimes-tu donc, extraordinaire étranger ?
- J'aime les nuages... les nuages qui passent... là-bas... là-bas... les merveilleux nuages !
in Petits Poèmes en prose.
Note 1 : sous-titre Le Spleen de Paris, recueil posthume de poèmes en proses publié en 1869, composé d’une cinquantaine de pièces rédigées entre 1855 et 1864.