J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans.
Un gros meuble à tiroirs encombré de bilans,
De vers, de billets doux, de procès, de romances,
Avec de lourds cheveux roulés dans des quittances,
Cache moins de secrets que mon triste cerveau.
C'est une pyramide, un immense caveau,
Qui contient plus de morts que la fosse commune.
—Je suis un cimetière abhorré de la lune,
Où comme des remords se traînent de longs vers
Qui s'acharnent toujours sur mes morts les plus chers.
Je suis un vieux boudoir plein de roses fanées,
Où gît tout un fouillis de modes surannées,
Où les pastels plaintifs et les pâles Boucher,
Seuls, respirent l'odeur d'un flacon débouché.
Rien n'égale en longueur les boiteuses journées,
Quand sous les lourds flocons des neigeuses années
L'ennui, fruit de la morne incuriosité,
Prend les proportions de l'immortalité.
—Désormais tu n'es plus, ô matière vivante !
Qu'un granit entouré d'une vague épouvante,
Assoupi dans le fond d'un Saharah brumeux ;
Un vieux sphinx ignoré du monde insoucieux,
Oublié sur la carte, et dont l'humeur farouche
Ne chante qu'aux rayons du soleil qui se couche.
Charles BAUDELAIRE
Les Fleurs du mal, 1857
LXXVI. — Spleen
...les pastels plaintifs et les pâles Boucher...
François Boucher
Mademoiselle O'Murphy, 1752
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On n’oubliera pas aujourd’hui René Char, décédé à Paris le 19 février 1988.
Pendant l’Occupation, René Char, sous le nom de Capitaine Alexandre, participe, les armes à la main, à la Résistance, « école de douleur et d’espérance ». Il commande le Service action parachutage de la zone Durance. Son QG est installé à Céreste (Basses-Alpes). Les Feuillets d’Hypnos (repris en volume dans Fureur et mystère), reprennent ses notes du maquis.
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