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12 novembre 2012 1 12 /11 /novembre /2012 06:22

 

 

Le mondain, un poème de Voltaire, de l’Académie française

..."J’aime le luxe, et même la mollesse"...

Découvrir ou redécouvrir le poème Le Mondain écrit en 1736 par Voltaire (1694-1778), élu à l’Académie française, le 2 mai 1746. Avec humour et même provocation, Voltaire livre, avec ce poème,

un véritable hymne aux plaisirs de la vie. 

 

 

 

Regrettera qui veut le bon vieux temps,

Et l’âge d’or, et le règne d’Astrée,

Et les beaux jours de Saturne et de Rhée,

Et le jardin de nos premiers parents ;

Moi, je rends grâce à la nature sage

Qui, pour mon bien, m’a fait naître en cet âge

Tant décrié par nos tristes frondeurs :

Ce temps profane est tout fait pour mes mœurs.

J’aime le luxe, et même la mollesse,

Tous les plaisirs, les arts de toute espèce,

La propreté, le goût, les ornements :

Tout honnête homme a de tels sentiments.

Il est bien doux pour mon cœur très immonde

De voir ici l’abondance à la ronde,

Mère des arts et des heureux travaux,

Nous apporter, de sa source féconde,

Et des besoins et des plaisirs nouveaux.

L’or de la terre et les trésors de l’onde,

Leurs habitants et les peuples de l’air,

Tout sert au luxe, aux plaisirs de ce monde.

O le bon temps que ce siècle de fer !

 

Le superflu, chose très nécessaire,

A réuni l’un et l’autre hémisphère.

Voyez-vous pas ces agiles vaisseaux

Qui, du Texel, de Londres, de Bordeaux,

S’en vont chercher, par un heureux échange,

De nouveaux biens, nés aux sources du Gange,

Tandis qu’au loin, vainqueurs des musulmans,

Nos vins de France enivrent les sultans ?

Quand la nature était dans son enfance,

Nos bons aïeux vivaient dans l’ignorance,

Ne connaissant ni le tien ni le mien.

Qu’auraient-ils pu connaître ? ils n’avaient rien,

Ils étaient nus ; et c’est chose très claire

Que qui n’a rien n’a nul partage à faire.

Sobres étaient. Ah ! je le crois encor :

Martialo n’est point du siècle d’or.

D’un bon vin frais ou la mousse ou la sève

Ne gratta point le triste gosier d’Ève ;

La soie et l’or ne brillaient point chez eux,

Admirez-vous pour cela nos aïeux ?

 

Il leur manquait l’industrie et l’aisance :

Est-ce vertu ? c’était pure ignorance.

Quel idiot, s’il avait eu pour lors

Quelque bon lit, aurait couché dehors ?

Mon cher Adam, mon gourmand, mon bon père,

Que faisais-tu dans les jardins d’Éden ?

Travaillais-tu pour ce sot genre humain ?

Caressais-tu madame Ève, ma mère ?

Avouez-moi que vous aviez tous deux

Les ongles longs, un peu noirs et crasseux,

La chevelure un peu mal ordonnée,

Le teint bruni, la peau bise et tannée.

Sans propreté l’amour le plus heureux

N’est plus amour, c’est un besoin honteux.

Bientôt lassés de leur belle aventure,

Dessous un chêne ils soupent galamment

Avec de l’eau, du millet, et du gland ;

Le repas fait, ils dorment sur la dure :

Voilà l’état de la pure nature.

Or maintenant voulez-vous, mes amis,

Savoir un peu, dans nos jours tant maudits,

Soit à Paris, soit dans Londres, ou dans Rome,

Quel est le train des jours d’un honnête homme ?

Entrez chez lui : la foule des beaux-arts,

Enfants du goût, se montre à vos regards.

De mille mains l’éclatante industrie

De ces dehors orna la symétrie.

L’heureux pinceau, le superbe dessin

Du doux Corrège et du savant Poussin

Sont encadrés dans l’or d’une bordure ;

C’est Bouchardon qui fit cette figure,

Et cet argent fut poli par Germain.

Des Gobelins l’aiguille et la teinture

Dans ces tapis surpassent la peinture.

Tous ces objets sont vingt fois répétés

Dans des trumeaux tout brillants de clartés.

De ce salon je vois par la fenêtre,

Dans des jardins, des myrtes en berceaux ;

Je vois jaillir les bondissantes eaux.

Mais du logis j’entends sortir le maître :

Un char commode, avec grâces orné,

Par deux chevaux rapidement traîné,

Paraît aux yeux une maison roulante,

Moitié dorée, et moitié transparente :

Nonchalamment je l’y vois promené ;

De deux ressorts la liante souplesse

Sur le pavé le porte avec mollesse.

Il court au bain : les parfums les plus doux

Rendent sa peau plus fraîche et plus polie.

Le plaisir presse ; il vole au rendez-vous

Chez Camargo, chez Gaussin, chez Julie ;

Il est comblé d’amour et de faveurs.

Il faut se rendre à ce palais magique

Où les beaux vers, la danse, la musique,

L’art de tromper les yeux par les couleurs,

L’art plus heureux de séduire les cœurs,

De cent plaisirs font un plaisir unique.

Il va siffler quelque opéra nouveau,

Ou, malgré lui, court admirer Rameau.

Allons souper. Que ces brillants services,

Que ces ragoûts ont pour moi de délices !

Qu’un cuisinier est un mortel divin !

Chloris, Églé, me versent de leur main

D’un vin d’Aï dont la mousse pressée,

De la bouteille avec force élancée,

Comme un éclair fait voler le bouchon ;

Il part, on rit ; il frappe le plafond.

De ce vin frais l’écume pétillante

De nos Français est l’image brillante.

Le lendemain donne d’autres désirs,

D’autres soupers, et de nouveaux plaisirs.


    Or maintenant, monsieur du Télémaque,

Vantez-nous bien votre petite Ithaque,

Votre Salente, et vos murs malheureux,

Où vos Crétois, tristement vertueux,

Pauvres d’effet, et riches d’abstinence,

Manquent de tout pour avoir l’abondance :

J’admire fort votre style flatteur,

Et votre prose, encor qu’un peu traînante ;

Mais, mon ami, je consens de grand cœur

D’être fessé dans vos murs de Salente,

Si je vais là pour chercher mon bonheur.

Et vous, jardin de ce premier bonhomme,

Jardin fameux par le diable et la pomme,

C’est bien en vain que, par l’orgueil séduits,

Huet, Calmet, dans leur savante audace,

Du paradis ont recherché la place :

Le paradis terrestre est où je suis.

 

 

 

 

 

Dans ce poème, Voltaire fait le faux éloge de l'âge d'or en opposition à l'âge de fer. Son choix est de vivre dans son époque et non de regretter le passé. Il y a bien eu une progression dans la civilisation avec toutes les avancées et les découvertes. Le luxe, dans une acceptation large, est donc un bienfait collectif qui permet d'avancer dans la recherche du bonheur.

 

Ce texte n'est pas sans rappeler l'épicurisme de Montaigne (cf: Les Essais). Ainsi il s'oppose à Pascal qui pense que la civilisation a corrompu l'homme; il s'oppose également à l'attitude de Rousseau qui lui prône une existence en harmonie avec la nature.

 

 

 

 

dom-pe.-Lagerfeld.jpeg

Dom Pérignon Rosé Guitar Case by Karl Lagerfeld     

100 000 €

3 coupes + 6 flacons des plus précieux millésimes de rosés.

 

 

On regardera cette courte sélection extraite de l'émission Bibliothèque Médicis :   

      http://www.dailymotion.com/video/x56lb_le-bonheur-paradoxal-lcp_news

 

 

 

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commentaires

C
<br /> Que de souvenirs avec ce texte, si souvent étudié avec mes classes de Première !<br />
Répondre
N
<br /> Cher Endeuxmots,<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Merci de nous faire partager vos doctes réflexions. <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Le vin d'Aï ou d'Ay comme on dit désormais a quand même bien des charmes, surtout dans sa version Dom Pérignon, tel l'illustration qui nous met... la bulle à la bouche ! Et Voltaire le devait<br /> sans doute fort apprécier pour avec quelques doux vers en si bien parler :<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> ... Chloris, Églé, me<br /> versent de leur main<br /> <br /> <br /> D’un vin d’Aï dont la mousse pressée,<br /> <br /> <br /> De la bouteille avec force élancée,<br /> <br /> <br /> Comme un éclair fait voler le bouchon ; ...<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Bien à vous...et Cheers !<br />
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E
<br /> Existe-t-il encore des salons où la rafraîchissante exhubérance de Voltaire ne déclencherait pas l'indignation ? La désinvolture, l'élégance même, ne sont-elles pas en passe de devenir des délits<br /> comme s'il s'agissait d'outrages commis à la souffrance universelle ? Faut-il maintenant pour paraître honnête homme se donner des airs contrits, se vêtir de bure et se nourrir de navets grêlés ?<br /> La mauvaise conscience post-industrielle s'infiltre tel un gaz malodorant sous le pas de nos portes. Que cette envolée pétillante de Voltaire est agréable à entendre. Merci de nous avoir<br /> administré de brillant rappel à la joie !<br /> <br /> <br /> J'imprime ce beau texte et vous fait serment de le relire les dimanches avant repas tandis que je boirai un dé de Tokay, nectar préféré du Maître. <br /> <br /> <br /> Bien amicalement<br />
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