L'âme
Comme un exilé du vieux thème,
J'ai descendu ton escalier ;
Mais ce qu'a lié l'Amour même,
Le temps ne peut le délier.
Chaque soir quand ton corps se couche
Dans ton lit qui n'est plus à moi,
Tes lèvres sont loin de ma bouche ;
Cependant, je dors près de Toi.
Quand je sors de la vie humaine,
J'ai l'air d'être en réalité
Un monsieur seul qui se promène ;
Pourtant je marche à ton côté.
Ma vie à la tienne est tressée
Comme on tresse des fils soyeux,
Et je pense avec ta pensée,
Et je regarde avec tes yeux.
Quand je dis ou fais quelque chose,
Je te consulte, tout le temps ;
Car je sais, du moins, je suppose,
Que tu me vois, que tu m'entends.
Moi-même je vois tes yeux vastes,
J'entends ta lèvre au rire fin.
Et c'est parfois dans mes nuits chastes
Des conversations sans fin.
C'est une illusion sans doute,
Tout cela n'a jamais été ;
C'est cependant, Mignonne, écoute,
C'est cependant la vérité.
Du temps où nous étions ensemble,
N'ayant rien à nous refuser,
Docile à mon désir qui tremble,
Ne m'as-tu pas, dans un baiser,
Ne m'as-tu pas donné ton âme ?
Or le baiser s'est envolé,
Mais l'âme est toujours là, Madame ;
Soyez certaine que je l'ai.
Germain NOUVEAU
Valentines
Germain Marie Bernard NOUVEAU est né à Pourrières dans le Var en 1851 et y décédera en 1920.
La religion est 'LE' thème récurrent de son œuvre poétique. Songeant à devenir prêtre après ses études au séminaire d'Aix, il se tourne finalement vers l'enseignement qu'il pratique un an et s'installe à Paris en 1872. Il y rencontre Mallarmé et Richepin, ainsi que Charles Cros avec qui il rédige les Dixains réalistes. C'est deux ans plus tard qu'il rencontre Rimbaud et part avec lui en Angleterre. Germain Nouveau voyage ensuite en Belgique et en Hollande et fait la connaissance de Verlaine avec qui il entretient une amitié durable. En 1878, il entre au ministère de l'instruction publique mais démissionne en 1883 et poursuit ses voyages qui le conduisent à Beyrouth. Il enseigne le dessin dans l'Isère puis à Paris mais est atteint, lors d'un cours, d'une crise de folie mystique. Interné quelques mois à l'asile d'aliénés d'Aix, ses crises mystiques se font plus fréquentes. S'inspirant de saint Benoît Labre, il mène une vie de mendiant et de pèlerin et ponctue ses errances de pèlerinages à Rome et Saint Jacques de Compostelle. Il rentre finalement dans sa ville natale où il décède suite à un jeûne trop prolongé entre le Vendredi saint et Pâques. Germain Nouveau s'étant opposé de son vivant à la diffusion de ses œuvres celles-ci sont publiées à titre posthume. Parmi elles, la Doctrine de l’Amour est sans conteste un chef d'oeuvre de la poésie religieuse.
On notera qu'Aragon dit de Germain NOUVEAU qu’il est « non un poète mineur mais un grand poète. Non un épigone de Rimbaud : son égal. »
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(...) Chaque soir quand ton corps se couche (...)
Manet
Femme couchée, étude pour l'Olympia, visage non dessiné, 1862-1863
Musée d'Orsay, Paris