Poésie, Poésie pour enfant, Poésie pour la jeunesse, Textes classiques et modernes, Mémoire de la Shoah,
« Vous pourriez déranger la chance »
Le funambule
Un sentier de fil tendu et si mince qu’un ange n’y pourrait cheminer que les ailes ouvertes ;
Rien que l’espace alentour -, très bas et très haut l’espace charmeur et mortel.
Ô funambule, il n’est pas de solitude comparable à la tienne et tu n’as d’autre compagnon
Que cette mort toujours te parlant à l’oreille et te pressant de lui céder.
Ah ! quelle danse étrange où le moindre faux pas punit de mort le danseur !
Quelle fidélité où le moindre mensonge immole le menteur.
De ton pied intelligent, tu choisis le nombre d’or entre cent nombres perfides — et chacun de tes orteils est vainqueur de cent énigmes.
Tandis que tes bras levés et tes paumes bien ouvertes semblent toucher une rampe de vent ou calmer les sirènes du vide.
Une grâce vigoureuse dicte la foi forte et chaste à tes genoux, à ta nuque.
Et tu poursuis un voyage dans la pure vérité.
Tu marches ; plus rien en toi ne peut dormir ou rêver. Ô justice, ô vigilance.
Et tu es comme l’avare qui perdrait tout son trésor en perdant un seul denier.
L’oiseau des cimes t’admire en ta haute pauvreté. Il a dans l’air vaste et nu mille soutiens transparents :
Toi, tu n’as pour seul appui qu’un fil nié par les yeux, le plus frêle fil du monde entre deux bords de cristal.
Tu inventes la balance où rien d’impur ne survit et quel juste partage est fait dans l’équilibre du monde.
Entre huit grains de poussière et deux plumes de mésange !
Si ta main va s’emparer de quelque invisible pêche, tu sais la fondre en toi-même et goûter son jus profond de la lèvre au bout des pieds.
Ô prince du suspens, ô maître de l’audace, chaque pas que tu fais engendre des musiques en des lieux bercés hors du temps ;
Et la terre envieuse et l’abîme dompté ne pouvant t’engloutir, ont pris parti de t’adorer.
Règne donc dans un tourment aux figures de délice ; caresse d’une main savante les grands fauves endormis,
Puisque tu vois danser ton âme à la distance d’un seul pas et que ta main va l’atteindre.
Ô solitaire, ô lucide, risque à chaque instant de perdre un séjour obéissant, un empire de saisons pour gagner un pas de plus.
NORGE
Oeuvres poétiques
Edgar DEGAS
Miss Lola au cirque Fernando, 1879