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Poésie, Poésie pour enfant, Poésie pour la jeunesse, Textes classiques et modernes, Mémoire de la Shoah,

LA FONTAINE. LA JEUNE VEUVE.

 

 

 

 

LA JEUNE VEUVE

 

     

    La perte d’un époux ne va point sans soupirs ;

    On fait beaucoup de bruit ; et puis on se console :

    Sur les ailes du Temps la tristesse s’envole,

                Le Temps ramène les plaisirs.

                Entre la veuve d’une année

                Et la veuve d’une journée

    La différence est grande ; on ne croirait jamais

                Que ce fût la même personne :

    L’une fait fuir les gens, et l’autre a mille attraits.

    Aux soupirs vrais ou faux celle-là s’abandonne ;

    C’est toujours même note et pareil entretien ;

                On dit qu’on est inconsolable ;

                On le dit, mais il n’en est rien,

                Comme on verra par cette fable,

                Ou plutôt par la vérité.

     

                L’époux d’une jeune beauté

    Partait pour l’autre monde. À ses côtés, sa femme

    Lui criait : « Attends-moi, je te suis ; et mon âme,

    Aussi bien que la tienne, est prête à s’envoler. »

                Le mari fait seul le voyage.

    La belle avait un père, homme prudent et sage ;

                Il laissa le torrent couler.

                À la fin, pour la consoler :

    « Ma fille, lui dit-il, c’est trop verser de larmes :

    Qu’a besoin le défunt que vous noyiez vos charmes ?

    Puisqu’il est des vivants, ne songez plus aux morts.

                Je ne dis pas que tout à l’heure

                Une condition meilleure

                Change en des noces ces transports ;

    Mais, après certain temps, souffrez qu’on vous propose

    Un époux beau, bien fait, jeune, et tout autre chose

          Que le défunt. — Ah ! dit-elle aussitôt,

                Un cloître est l’époux qu’il me faut. »

    Le père lui laissa digérer sa disgrâce.

                Un mois de la sorte se passe ;

    L’autre mois, on l’emploie à changer tous les jours

    Quelque chose à l’habit, au linge, à la coiffure :

                Le deuil enfin sert de parure,

                En attendant d’autres atours ;

                Toute la bande des Amours

    Revient au colombier ; les jeux, les ris, la danse,

                Ont aussi leur tour à la fin :

                On se plonge soir et matin

                Dans la fontaine de Jouvence.

    Le père ne craint plus ce défunt tant chéri ;

    Mais comme il ne parlait de rien à notre belle :

                « Où donc est le jeune mari

                Que vous m’avez promis ? » dit-elle.

     

 

 

JEAN DE LA FONTAINE

Fables XXI, livre sixième.

 

 

 

 

la-jeune-veuve_.jpg

La Jeune Veuve

Illustration de Gustave DORE   

 

 

W.Bouguereau.jpg 

      ... Toute la bande des Amours

   Revient au colombier ...

 

William BOUGUEREAU, 1825 - 1905

 

gerome.jpg

(...)  On se plonge soir et matin

Dans la fontaine de Jouvence. (...)

 

Jean-Léon GEROME, 1824 - 1904

 


 

...Le temps n'est-il pas le plus grand consolateur ? Apophtegme bien connu de ceux qui ont atteint l'âge de la sagesse, comme le père de la Belle et, sans doute, La Fontaine lui-même... 

 



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