Poésie, Poésie pour enfant, Poésie pour la jeunesse, Textes classiques et modernes, Mémoire de la Shoah,
Edmond ROSTAND
La fiancée se nomme Rosemonde Gérard. Le soupirant Edmond Rostand.
Rostand, vous savez bien, celui qui écrivit Cyrano de Bergerac.
Le soupirant soupire loin de sa fiancée, lui confie sa détresse – la poésie, l’écriture, l’éloignement, les doutes, la tendresse.
Il lui écrit :
« J’ai cette foule d’idées qui grouillent, qui grouillent dans ma tête, sans savoir exactement lesquelles. A chaque instant, j’ai envie d’écrivailler. »
Ecrivailler ? Ecrivailler, c’est écrire avec négligence des choses sans valeur !
A tous : suivez l’écrivailleur…
Lettre 13
Luchon, 11 août 1888
Samedi matin
Et souffrez-vous de votre vilaine gorge ? – Je veux espérer que vous êtes debout, vaillante et que vous vous apprêtez à sortir pour aller vers quelque chemin bleu de Pougues ? Avez-vous des chemins bleus, là-bas ?…
Ici il y en a beaucoup. Il y a aussi des jolies routes blanches qui font des rubans dans la campagne. Le soleil qui ne veut pas se cacher un seul jour fait des blagues dans les feuillages, toutes sortes de petits miroitements, de poussières dorées, de jeux gamins de lumière… C'est très décor, en ce moment, Luchon. Dans mes promenades à cheval, je vois des recoins charmants – bien entendu les recoins obscurs, ceux où il y a pas de perspective, de vue de montagne, mais ou l'horizon est étréci, borné, où l'on est derrière des rideaux de feuillages. – C'est très joli, mais je m'y ennuie. Et vous savez bien que les plus jolies choses ne procurent aucun plaisir, si on ne veut pas le raconter, son plaisir, le partager, – et que cela m'est absolument égal de trouver une chose jolie si je ne puis vous demander si vous la trouvez jolie…
De ma fenêtre ouverte j'aperçois un grand jardin fleuri, – celui de notre voisin l'horticulteur, – un tas, un tas de roses… Et l'air est plein de mariages de papillons. Ils volent par deux, les jolis papillons blancs et je les vois aller très loin, très loin, – et disparaître, sans jamais se séparer…
Je lis des contes de fées. C'est écrit avec une finesse extraordinaire, – pas du tout pour les enfants. Le style est d'une sobriété, les détails d'un goût exquis. Une véritable merveille est Riquet à la Houppe, – cette histoire d'un homme laid qu'une princesse belle comme le jour se met à aimer, si bien qu'elle le voit beau, plus beau que tout. Il m'a plu beaucoup, ce conte, et attendri… Du reste, comme je vous l'écrivais l'autre jour, beaucoup plus peut-être par ce que j'y ai mis, que parce qu'il y a réellement .
Le joli temps que celui des fées !… Et quel malheur que nous n'y vivions pas !
J'aurais eu une marraine fée. Elle se serait appelée Rosemonde. La fée Rosemonde, – cela va à ravir… Vous auriez une robe couleur du temps, une robe aurore, et des étoiles dans vos cheveux… De vous j'obtiendrais tout ce que je voudrais, petite marraine… Et vous viendriez ici prendre une citrouille de mon jardin pour m’en faire un carrosse, – avec lequel nous rentrerions à Paris, pour voir Le Gant Rouge… Vous daigneriez aussi me donner un coup de baguette, et je serais merveilleusement beau et spirituel, et plein de talent… Que c'est dommage que vous ne soyez pas fée. Mais vous l'êtes et pouvez ce que vous voulez. Et votre amitié est la baguette avec laquelle vous me transformerez, s'pas ?
Vous rappelez-vous des contes que je vous contais quand vous étiez malade ? C'était l'histoire de la petite princesse Dodelinette, que j'écrirai un jour, tant son nom me plaît, – et il y avait le prince Dodelino, et le prince aimait beaucoup Dodelinette et il la câlinait tant qu'il pouvait… Et puis il arrivait un tas de choses, – jusqu'à Henri qui interrompait l'histoire pour aller boire un verre… Mais quand je pus la terminer, je me souviens que la fin était charmante. Après des aventures extraordinaires, – décidément, il faut qu'un jour je les écrive, – le roi Dodelino arrivait à obtenir l'amour de sa belle, et Dodelino et Dodelinette jouissaient d'un bonheur parfait. Ils n'avaient pas d'enfants.
Ce nom de DODELINETTE est tout simplement une petite merveille. C'est du génie, d'avoir trouvé un nom aussi tendre, aussi câlin. Trouvez-vous pas ?
Je n'ai pas reçu le moindre petit Gant Rouge d'Henri.
Ce soir arrivent – HÉLAS ! – mon oncle et ma tante. Plaignez-moi profondément.
Mademoiselle Joujou est je crois définitivement dans la bonne voie. Elle commence tout de suite par des impressions de cette petite personne. J'espère que ça va filer droit, maintenant.
Ma pièce, – je ne sais si vous vous rappelez de son sujet, – la femme qui se trouve avoir trompé son mari sans raison, – me paraît faire un très bon roman, genre Bourget. Étude à faire de l'état d'âme de cette femme vivant près de son mari qu'elle adore, après avoir fait ça. Le roman est tout fait. On en tirerait la pièce après, – et peut-être la ferait-on mieux. Votre avis, s.v.p., madame la fée ?
Quant au travail de Perrault je commence à avoir les matériaux, les idées que je classe… Soyez tranquille, ce sera fait.
Vient d'arriver le petit avocat toulousain, Monthieu , celui à mine de furet auquel vous avez battu froid l'an passé. Aussi il ne parle pas de vous.
Vous ne voulez plus de raisins ? Étaient-ils bons ?
Je suis vraiment enchanté que vous ayez trouvé jolie cette petite machine que j'avais faite au collège et qui avait si fort scandalisé le Père Directeur qui l'ayant lue voulait me mettre à la porte : Dans l'antichambre. Il y a des petites retouches à faire ? Que vous seriez gentille de les faire ! Et qui le peut mieux que vous qui avez l'instinct du théâtre !!
Savez-vous comment s'appelait la marraine de la princesse Peau d'Âne ? La Fée des Lilas… Est-ce pas joli ?… Si je fais un conte jamais, il y aura aussi la Fée des Glycines.
Et un endroit que je trouve ravissant aussi c'est dans la Belle au bois dormant, – (quel conte merveilleux!) l'arrivée furtive du prince Charmant au travers des grands appartement endormis… Et savez-vous le premier mot que lui dit la belle endormie quand elle s'éveille. Elle le regarde… « avec des yeux plus tendres qu'une première vue ne semblait le permettre … » et tout simplement lui dit : « Est-ce vous, mon prince ?… vous vous êtes bien fait attendre ?… »
J'ai idée que la première fois qu'on aime et qu'on trouve celle qui est la vraie, on doit avoir cette impression de sortir d'un long sommeil, d'un sommeil où dormaient, inconscientes encore, toutes les tendresses, – et que c'est ce mot tout simple et charmant qui doit vous venir aux lèvres…
« Est-ce vous ? vous vous êtes bien fait attendre ?… »
Ah ! les contes de fées, quand on sait les lire, comme cela vaut mieux que toutes les choses défraîchies qu'on nous sert aujourd'hui : quelle jeunesse embaumante cela a, et comme cela nous amusera et nous charmera de les lire ensemble.
Figurez-vous que c'est même plein de petites gaillardises, dites avec une finesse remarquable, – si bien qu'on ne les aperçoit qu'à la réflexion. C'est dit avec naïveté, comme un enfant dit une chose un peu vive, sans la comprendre. Ou bien c'est une pointe de malice infiniment bonhomme.
Je trouve ravissante cette petite phrase de La Belle au bois dormant encore… Ils se marient le soir même du jour où elle s'est réveillée…
« Le grand aumônier les maria dans la chapelle du château et la dame d'honneur leur tira le rideau.
Ils dormirent peu : la princesse n'en avait pas grand besoin… »
Je trouve cela très fin. Maintenant ce qui est extrêmement spirituel c'est ceci. Barbe-Bleue retourne chez lui. Il ne demande pas tout de suite les clefs. Alors
« Sa femme fit tout ce qu'elle put pour lui témoigner qu'elle était ravie de ce prompt retour.
Le lendemain… »
N'est-ce pas que ce point à la ligne, avec le récit reprenant tranquillement sur ce simple mot : le lendemain… est très fin, très fin, qu'il y a là un art très délicat. Si on lisait ça à haute voix on pourrait faire un effet avec : le lendemain…
J'ai peur de vous ennuyer avec mes citations et mes appréciations. Chère petite amie, je fais mon possible pour vous distraire, – et faut-il vous l'avouer, pour me distraire. En causant avec vous de ces choses, j'espère arriver à me persuader qu'elles m'intéressent. Eh ! mon Dieu ! Le fait est qu'elles prennent un intérêt pour moi, du moment que je vous en ai causé ! Tenez, ce n'est que depuis que je vous ai parlé de ces contes de fées que mon travail sur eux m'intéresse, et que des idées me sont venues.
Cela m'est infiniment, mais infiniment doux de tâcher de faire nos esprits se toucher un peu de si loin. Je voudrais faire les mêmes lectures que vous : dites-moi quels livres vous avez lus dernièrement. Les relisant après vous, je le ferai avec grand charme, car tout le temps je me dirai : ceci lui a plu, – cela l'a touchée… Et je ne me tromperai pas. Quelle grande joie c'est quand on sent sur une de ces menues impressions littéraires si fines, si fines, qu'on est d'accord, – qu'on a bien la même sensibilité, qu'on est bien ensemble…
Ah ! quelle inépuisable, inépuisable source de joie, de jouissances rares, de bonheurs intimes, nous avons dans nos affinités intellectuelles ; – quel bonheur c'est d'avoir une amie comme vous, – qui sent, qui comprend, qui a les mêmes nerfs… le même goût.
Personne, personne de pareil à moi. Vous, vous seule. C'est là qu'est tout le secret, toute la féerie qui fait qu'on ne s'ennuie jamais, réunis, – c'est là qu'est l'enchantement, plus délicieux, allez, que tous ceux dont je lis l'histoire.
À vous, – et à Madame Lee, – répondez-moi vos impressions, vos conseils, vos avis, – le plus tôt, s'pas ?
Edmond
...Edmond Rostand épousait le 8 avril 1890, à Paris en l'église Saint-Augustin, Rosemonde Gérard.