Pour Axel
Poème déjà publié le 20 décembre 2010.
L’Horloge.
Horloge ! dieu sinistre, effrayant, impassible,
Dont le doigt nous menace et nous dit: "Souviens-toi !
Les vibrantes Douleurs dans ton coeur plein d'effroi
Se planteront bientôt comme dans une cible ;
Le Plaisir vaporeux fuira vers l'horizon
Ainsi qu'une sylphide au fond de la coulisse ;
Chaque instant te dévore un morceau du délice
A chaque homme accordé pour toute sa saison.
Trois mille six cents fois par heure, la Seconde
Chuchote : Souviens-toi ! - Rapide, avec sa voix
D'insecte, Maintenant dit : Je suis Autrefois,
Et j'ai pompé ta vie avec ma trompe immonde !
Remember ! Souviens-toi ! Prodigue ! Esto memor !
(Mon gosier de métal parle toutes les langues.)
Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues
Qu'il ne faut pas lâcher sans en extraire l'or !
Souviens-toi que le Temps est un joueur avide
Qui gagne sans tricher, à tout coup ! C'est la loi.
Le jour décroît ; la nuit augmente ; souviens-toi !
Le gouffre a toujours soif ; la clepsydre se vide.
Tantôt sonnera l'heure où le divin Hasard,
Où l'auguste Vertu, ton épouse encor vierge,
Où le Repentir même (oh ! la dernière auberge !),
Où tout te dira Meurs, vieux lâche ! Il est trop tard !"
Charles BAUDELAIRE
Les Fleurs du Mal.
-1861- Poème LXXXV de la section « Spleen et Idéal ».
L'horloge du beffroi de Douai le 20 décembre 2010 à 11h40.
Note : « L'Horloge » clôt la longue série de poèmes consacrés au Temps : « L'Ennemi », « Chant d'automne », « Spleen », « Le Goût du néant ». Ce poème marque l'aboutissement d'un parcours qui sanctionne l'échec de l'Idéal et la victoire du Spleen.