YOUKI et Robert DESNOS
Lettre à Youki
15 juillet 1944.
Mon Amour,
Notre souffrance serait intolérable si nous ne pouvions la considérer comme une maladie passagère et sentimentale. Nos retrouvailles embelliront notre vie pour au moins trente ans. De mon côté, je prends une bonne gorgée de jeunesse, je reviendrai rempli d'amour et de forces ! Pendant le travail un anniversaire, mon anniversaire fut l'occasion d'une longue pensée pour toi. Cette lettre parviendra-t-elle à temps pour ton anniversaire? J'aurais voulu t'offrir 100 000 cigarettes blondes, douze robes des grands couturiers, l'appartement de la rue de Seine, une automobile, la petite maison de la forêt de Compiègne, celle de Belle-Isle et un petit bouquet à quatre sous. En mon absence achète toujours les fleurs, je te les rembourserai. Le reste, je te le promets pour plus tard.
Mais avant toute chose bois une bouteille de bon vin et pense à moi. J'espère que nos amis ne te laisseront pas seule ce jour. Je les remercie de leur dévouement et de leur courage. J'ai reçu il y a une huitaine de jours un paquet de J.-L. Barrault. Embrasse-le ainsi que Madeleine Renaud, ce paquet me prouve que ma lettre est arrivée. Je n'ai pas reçu de réponse, je l'attends chaque jour. Embrasse toute la famille, Lucienne, Tante Juliette, Georges. Si tu rencontres le frère de Passeur, adresse-lui toutes mes amitiés et demande-lui s'il ne connaît personne qui puisse te venir en aide. Que deviennent mes livres à l'impression? J'ai beaucoup d'idées de poèmes et de romans. Je regrette de n'avoir ni la liberté ni le temps de les écrire Tu peux cependant dire à Gallimard que dans les trois mois qui suivront mon retour, il recevra le manuscrit d'un roman d'amour d'un genre tout nouveau. Je termine cette lettre pour aujourd'hui.
Aujourd'hui 15 juillet, je reçois quatre lettres, de Barrault, de Julia, du Dr Benet et de Daniel. Remercie-les et excuse-moi de ne pas répondre. Je n'ai droit qu'à une lettre par mois. Toujours rien de ta main, mais ils me donnent des nouvelles de toi; ce sera pour la prochaine fois. J'espère que cette lettre est notre vie a venir. Mon amour, je t'embrasse aussi tendrement que l'honorabilité l'admet dans une lettre qui passera par la censure. Mille baisers. As-tu reçu le coffret que j'ai envoyé à l'hôtel de Compiègne ?
Robert
note : lettre écrite par R.DESNOS depuis le camp de Royallieu, où il est prisonnier en attente de départ et ma déportation vers l'Allemagne.
FOUJITA
Youki
Lucie Badoud, baptisée Youki par Foujita et appelée "la sirène" par Desnos, est née en 1903 à Paris.
Jeune, elle devint une des reines de Montparnasse grâce entre autre à la toile Nu allongé du peintre japonais Foujita. Elle eut d'ailleurs le coup de foudre pour le peintre à qui elle servit de modèle à de nombreuses reprises et dont elle devint la maîtresse. C'est Foujita qui la baptisa Youki, qui signifie neige rose en japonais.
Quand Youki fit la connaissance de Robert Desnos, elle était toujours la compagne de Foujita. C'était en 1928. Desnos devint un très bon ami du couple mais tomba profondément amoureux de Youki, se rapprochant de plus en plus d'elle tout en s'éloignant d'Yvonne George dont l'amour ne fut jamais partagé.
FOUJITA
Au café, 1949
Bientôt, ce devint un triangle amoureux, Foujita se rendant bien compte des sentiments qui liaient Youki et Desnos. Mais Foujita trouva un nouvel amour en la personne de la jeune et jolie Mady Dormans. Il quitta Youki en lui disant qu'il la laissait entre de belles mains et qu'il pouvait partir confiant, la sachant auprès de Desnos. Youki aurait, tant qu'à elle, souhaité garder ses deux amants et accepta difficilement l'abandon de Foujita.
Desnos gagna le coeur de sa "sirène" mais fut plutôt malheureux dans cette relation, Youki étant reconnue pour être volage et assez écervelée. Plusieurs des poèmes de Desnos racontent sa tristesse, ses attentes et ses espoirs envers Youki.
Desnos lui fut toujours fidèle et durant sa déportation, il ne cessa de lui écrire des lettres d'espoir...
Les 33 poèmes de Robert Desnos déjà publiés sont ici