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5 novembre 2014 3 05 /11 /novembre /2014 05:30

 

 

 

Notre affaire se noue dans une classe de 6 ème, au début du deuxième trimestre de l’année scolaire écoulée, c’est-à-dire en janvier ou février. Le professeur de français propose à ses jeunes élèves de choisir, parmi trois, un poème à apprendre par coeur :

- Soit le très classique Le Loup et l’agneau de Jean de La Fontaine,

- Soit le surprenant La Coquette et l’abeille de Jean-Pierre Claris de Florian, poète injustement tombé dans l’oubli,

- Soit le déroutant mais drolatique poème de Queneau, La Cimaise et la fraction !

 

On nous a confié que la majorité choisit tout naturellement La Fontaine. Seuls trois élèves optèrent pour La Cimaise… Le choix des trois élèves (notre confidente en fit partie) interloque mais nous réjouit. Choisir par goût ce poème est ambitieux. Quant à l’apprendre par coeur, voilà qui relève de la gageure!  Et pourtant, c’est ainsi. Il s’entend que le professeur prit soin d’expliquer le mouvement OULIPO et la méthode S+7.

Mieux encore : la jeune élève et confidente à qui nous demandâmes si elle pouvait encore le réciter six mois plus tard (c’était en juillet) nous le donna sans hésitation !

 

 

 

Voici, pour information, le délicat poème de Florian :

 

La Coquette et l'abeille

 

Chloé, jeune, jolie, et surtout fort coquette,

Tous les matins, en se levant,

Se mettait au travail, j'entends à sa toilette ;

Et là, souriant, minaudant,

Elle disait à son cher confident

Les peines, les plaisirs, les projets de son âme.

Une abeille étourdie arrive en bourdonnant.

Au secours ! Au secours ! Crie aussitôt la dame :

Venez, Lise, Marton, accourez promptement ;

Chassez ce monstre ailé. Le monstre insolemment

Aux lèvres de Chloé se pose.

Chloé s'évanouit, et Marton en fureur

Saisit l'abeille et se dispose

A l'écraser. Hélas ! Lui dit avec douceur

L'insecte malheureux, pardonnez mon erreur ;

La bouche de Chloé me semblait une rose,

Et j'ai cru... ce seul mot à Chloé rend ses sens.

Faisons grâce, dit-elle, à son aveu sincère :

D'ailleurs sa piqûre est légère ;

Depuis qu'elle te parle, à peine je la sens.

Que ne fait-on passer avec un peu d'encens !

 

Jean-Pierre Claris de FLORIAN   (1755-1794)

 

 

 

 

Pour ceux qui n’étaient pas en cours de sixième en janvier (!), voici quelques éléments

succincts :  Raymond Queneau et son ami mathématicien François Le Lionnais créent en 1960 l’Oulipo : « OUvroir de LIttérature POtentielle ».  C’est un « atelier » de littérature expérimentale. Par exemple, l’une des contraintes de la langue que s’imposent les membres de l’Oulipo obéit à la méthode S+7. Cette dernière consiste à remplacer chaque mot (substantif, soit S) d’un texte déjà existant par le septième mot qui suit dans le dictionnaire. C’est en partant du S+7 que Raymond Queneau, en 1973, aboutit à une parodie de La Cigale et la fourmi qui mathématiquement donne le poème qui suit :

 

La cimaise et la fraction

 

 

La cimaise ayant chaponné

Tout l’éternueur

Se tuba fort d’épurative

Quand la bixacée fut verdie :

Pas un sexué pétrographique morio

De moufette ou de verrat.

Elle alla crocher fange

Chez la fraction sa volcanique

La processionnant de lui primer

Quelque gramen pour succomber

Jusqu’à la salanque nucléaire.

« Je vous peinerai, lui discorda-t-elle

Avant l’apanage, folâtrerie d’Annamite !

Interlocutoire et priodonte. »

La fraction n’est pas prévisible :

C’est là son moléculaire défi.

« Que ferriez-vous au tendon cher ?

Discorda-t-elle à cette énarthrose.

-Nuncupation et joyau à tout vendeur,

Je chaponnais, ne vous déploie.

-Vous chaponniez ? J’en suis fort alarmante.

Eh bien ! débagoulez maintenant. »

 

 

Raymond QUENEAU    



 Note 1 : A relire éventuellement de Queneau La fourmi et la cigale ou quelques autres poèmes.

 

Note 2 : Dans le même ordre de pensée, Georges Perec, quant à lui, exécutera un incroyable tour de force en écrivant, en 1969, La Disparition, texte où la voyelle « e » est bannie, puis  Les Revenentes (1972), où la seule voyelle admise est le « e » !...



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commentaires

C
<br /> Voilà un poème que je fais apprendre à mes élèves, malgré sa difficulté, depuis de nombreuses années.<br /> <br /> <br /> Ils aiment aussi s'exercer à l'imiter en utilisant la technique oulipienne. Des jeux de mots qui leur mettent le rouge aux joues...<br />
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J
<br /> On est confondu par la version Oulipotienne de la célèbre fable de la Fontaine : s'en dégage une sorte de charme surréaliste et argotique qui fait penser à certains poèmes de Artaud.<br /> <br /> <br />  <br />
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