Pompidou, reviens, ils sont devenus flous !
Lors un récent sondage effectué à Poitiers auprès d’un panel représentatif de 732 personnes par l’Institut Français pour le Redressement Poétique, à la question : « Quel est votre poète préféré ? », les réponses aussi diverses que la diversité elle-même ne manquent pas d’étonner.
Ainsi, pour 411 de nos concitoyens, l’heureux élu est « Grand corps malade », suivi de Daniel Balavoine pour 206 esthètes, 80 estiment grandement Marc Levy (qui est pourtant romancier, me semble-t-il) alors que 24 élisent Johnny Hallyday. Quant aux onze restants, ils citent de parfaits inconnus: La Fontaine, Victor Hugo, Georges Pompidou, Arthur Rimbaud, François Villon, Dominique de Villepin… Un hurluberlu s’est même mis à hurler à tue-tête « Plus mon petit Liré que le mont Palatin et plus que l’air marin la douceur angevine » : de qui se moque-t-on ? Quand on pense aux vers immortels de Grand Corps Malade :
« Roméo kiffe Juliette et Juliette kiffe Roméo
Et si le ciel n’est pas clément tant pis pour la météo
Un amour dans l’orage, celui des dieux, celui des hommes
Un amour, du courage et deux enfants hors des normes »
Tout y est : les vers alternés de 13, 15, 14, 13 pieds, les rimes impeccables, l’allusion subtile à Clément Marot, Dieu, et même Shakespeare n’ont qu’à bien se tenir. Comme le disait le regretté Georges Pompidou, cantalien à gros sourcils et auteur d’une immortelle anthologie de la poésie française que je déclamais récemment à mon épouse, elle aux pagaies, moi à la poésie dans un canoë-kayak gonflable descendant la Nied : « L’ennui est qu’un pays peut se passer momentanément de grands poètes car il détient ce que le passé lui a légué. La gestion des affaires publiques, elle, ne souffre point d’interrègne. Et c’est pourquoi alternent la grandeur et la médiocrité. Dans ce dernier cas, il ne leur reste qu’à se consoler en se rappelant que les peuples heureux n’ont pas d’histoire. Du moins c’est ce qu’on dit. »
Paradoxalement, il nous disait aussi que « passer sa vie dans l’opposition est pour un homme politique ce que serait pour un poète se condamner à lire et à juger les vers des autres. En somme l’opposant est voué à faire des anthologies » Etonnant, sous la plume de ce grand homme d’action qui fut justement auteur d’une anthologie… Notre époque est-elle encore propice à la poésie ? Je vous le demande un peu, de quel coté du balancier pompidolien sommes-nous ? Qui a dit que Normal premier lui rappelait le grand Georges ? Je m’insurge mais je lui dédie ces vers immortels que je compte bien chanter un de ces jours, quand j’aurais appris à chanter :
« Pars courageusement, laisse toutes les villes;
Ne ternis plus tes pieds aux poudres du chemin;
Du haut de nos pensers vois les cités serviles
Comme les rocs fatals de l’esclavage humain.
Les grands bois et les champs sont de vastes asiles,
Libres comme la mer autour des sombres iles.
Marche à travers les champs une fleur à la main.»
Alfred de Vigny fecit et il y en a un certain nombre qui peuvent aller se rhabiller…
Michel KESSLER
©Michel KESSLER
Michel KESSLER est bouquiniste. Son article est paru le 8 août 2012 sur Causeur.fr
Notes de Nuageneuf :
Vigny n'a écrit qu'un seul poème d'amour, La Maison du Berger (1840-1844) paru dans le recueil Destinées. Le poème de 336 vers est dédié à Eva. On peut le lire dans son entièreté ici.
La Nied qu'évoque Michel KESSLER est une rivière franco-allemande, qui prend sa source en Moselle.