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22 juillet 2012 7 22 /07 /juillet /2012 05:52

 

 

 

 

LA JEUNE VEUVE

 

     

    La perte d’un époux ne va point sans soupirs ;

    On fait beaucoup de bruit ; et puis on se console :

    Sur les ailes du Temps la tristesse s’envole,

                Le Temps ramène les plaisirs.

                Entre la veuve d’une année

                Et la veuve d’une journée

    La différence est grande ; on ne croirait jamais

                Que ce fût la même personne :

    L’une fait fuir les gens, et l’autre a mille attraits.

    Aux soupirs vrais ou faux celle-là s’abandonne ;

    C’est toujours même note et pareil entretien ;

                On dit qu’on est inconsolable ;

                On le dit, mais il n’en est rien,

                Comme on verra par cette fable,

                Ou plutôt par la vérité.

     

                L’époux d’une jeune beauté

    Partait pour l’autre monde. À ses côtés, sa femme

    Lui criait : « Attends-moi, je te suis ; et mon âme,

    Aussi bien que la tienne, est prête à s’envoler. »

                Le mari fait seul le voyage.

    La belle avait un père, homme prudent et sage ;

                Il laissa le torrent couler.

                À la fin, pour la consoler :

    « Ma fille, lui dit-il, c’est trop verser de larmes :

    Qu’a besoin le défunt que vous noyiez vos charmes ?

    Puisqu’il est des vivants, ne songez plus aux morts.

                Je ne dis pas que tout à l’heure

                Une condition meilleure

                Change en des noces ces transports ;

    Mais, après certain temps, souffrez qu’on vous propose

    Un époux beau, bien fait, jeune, et tout autre chose

          Que le défunt. — Ah ! dit-elle aussitôt,

                Un cloître est l’époux qu’il me faut. »

    Le père lui laissa digérer sa disgrâce.

                Un mois de la sorte se passe ;

    L’autre mois, on l’emploie à changer tous les jours

    Quelque chose à l’habit, au linge, à la coiffure :

                Le deuil enfin sert de parure,

                En attendant d’autres atours ;

                Toute la bande des Amours

    Revient au colombier ; les jeux, les ris, la danse,

                Ont aussi leur tour à la fin :

                On se plonge soir et matin

                Dans la fontaine de Jouvence.

    Le père ne craint plus ce défunt tant chéri ;

    Mais comme il ne parlait de rien à notre belle :

                « Où donc est le jeune mari

                Que vous m’avez promis ? » dit-elle.

     

 

 

JEAN DE LA FONTAINE

Fables XXI, livre sixième.

 

 

 

 

la-jeune-veuve_.jpg

La Jeune Veuve

Illustration de Gustave DORE   

 

 

W.Bouguereau.jpg 

      ... Toute la bande des Amours

   Revient au colombier ...

 

William BOUGUEREAU, 1825 - 1905

 

gerome.jpg

(...)  On se plonge soir et matin

Dans la fontaine de Jouvence. (...)

 

Jean-Léon GEROME, 1824 - 1904

 


 

...Le temps n'est-il pas le plus grand consolateur ? Apophtegme bien connu de ceux qui ont atteint l'âge de la sagesse, comme le père de la Belle et, sans doute, La Fontaine lui-même... 

 



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