On connaît l’apophtegme célèbre de Tancrède dans Le Guépard, voulant convaincre le Prince Salina de se rallier à l’unité italienne : « Il faut que tout change pour que rien ne change ». Et Charles Trenet, en 1955, chantait déjà Paie tes dettes. Nihil nove sub sole.
On l'écoute ici :
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Paie tes dettes
Il était couvert de dettes
De la tête aux pieds.
Chez lui, venaient faire la quête
Tous ses créanciers
Et pour fuir ces personnages
Qui le torturaient,
Un jour, sans faire de tapage
Il partit pour la forêt.
Au pied d'un arbre, il s'endormit
Et, pendant qu'il rêvait,
Un oiseau tout en haut de lui,
Sur une branche, lui chantait :
"Paye tes dettes, paye tes dettes, une, deux.
Paye tes dettes, paye tes dettes, mon vieux.
Paye tes dettes, paye tes dettes.
C'est mieux
Ou sans ça
Ça n'ira pas."
Il se dit dans son sommeil :
"C'est la voix d'ma conscience
Qui m'poursuit, qui me surveille.
Je vais à mon réveil
Rembourser tous ces amis
Qui m'ont fait confiance.
Non plus jamais, je me l'dis,
Je n'veux de crédit."
"Paye tes dettes, paye tes dettes !" disait
"Paye tes dettes, paye tes dettes !" l'oiseau.
"Paye tes dettes, paye tes dettes."
Allez !
Il y fût, fût tout de go.
Quel souv'nir, quelle belle journée
Quand il régla tout (Tout!)
C'qu'il devait d'puis des années
Jusqu'au dernier sou.
Il s'défit même de sa ch'mise.
On peut s'passer d'ça !...
Dans les bois, soufflait la brise.
Tout joyeux, il y r'tourna.
Sous le même arbre, il s'étendit.
Alors, le même oiseau
Vint s'poser là, tout près de lui,
En répétant d'un air idiot :
"Paye tes dettes, paye tes dettes, une, deux.
Paye tes dettes, paye tes dettes, mon vieux.
Paye tes dettes, paye tes dettes.
C'est mieux
Ou sans ça
Ça n'ira pas."
Dans l'instant même, il comprit
Que la voix d'sa conscience
N'était autre qu'un volatile
Absurde et obstiné
Qui répétait le même cri
Depuis sa naissance,
Sans savoir ce qu'il disait.
Quelle destinée !
"Paye tes dettes, paye tes dettes !" disait
"Paye tes dettes, paye tes dettes !" l'oiseau.
"Paye tes dettes, paye tes dettes."
Assez,
Ou je vais te fracasser !
Et c'est ce qu'il fit,
A l'oiseau, le cou il tordit
Et le lendemain, dans tous les magasins
Et auprès de tous ses copains...
Il fit des dettes, fit des dettes, une, deux.
Il fit des dettes.
Ah !
C'est mieux
Puis un soir, devenu vieux,
Très vieux,
Il mourut
Couvert de dettes.
Charles TRENET, 1955
Trenet est habillé comme les anges bleus quand ils se mettent en civil. Une veste et un pantalon taillés dans le ciel du matin, une chemise plus sombre, faite d’un morceau de ciel du soir. Une cravate blanche coupée dans les nuages. Les Yeux : deux bleuets. Les cheveux en mousse blonde, comme ceux de Musset, jadis.
Paul Guth (Le Figaro littéraire, 26 juin 1954)